Quelque 30 millions d'Africains vivent aujourd'hui à l'étranger. Leurs envois de fonds vers leurs pays d'origine constituent pour ces derniers une manne inespérée, toutefois, les avantages économiques de la migration africaine restent largement inexploités. C'est du moins le constat auquel a abouti le dernier rapport de la Banque mondiale élaboré en collaboration avec la Banque africaine de développement et intitulé «Démultiplier l'impact des migrations pour l'Afrique : envois de fonds, renforcement des compétences et investissements». Selon la BM, le niveau des envois de fonds déclarés vers les pays d'Afrique a quadruplé entre 1990 et 2010 pour s'établir à près de 40 milliards de dollars, ce qui en fait la principale source de capitaux extérieurs après les apports d'investissement direct étranger. Cela dit, les chiffres officiels concernant ces envois sont nettement en deçà de la réalité. En outre, selon le rapport, le coût de ces envois de fonds reste prohibitif, surtout à partir d'autres pays d'Afrique. Pour Dilip Ratha, économiste principal à la Banque et principal auteur du rapport, «cela ne fait qu'encourager le recours à des circuits informels, et représente une charge superflue pour les migrants africains et ceux qui bénéficient de leurs envois». Selon les récentes enquêtes, les principaux emplois des envois de fonds de la diaspora africaine ont pris sur place la forme d'investissements pour des achats de terrains, des constructions de logements et des créations d'entreprises. A titre d'exemple, ces investissements représentent au Kenya 55% du niveau d'investissement global et 57 % au Nigéria. Et le phénomène n'est pas près de reculer. La BM estime en effet que «les pressions en matière de migration ne vont qu'augmenter à l'avenir du fait des mutations démographiques correspondant à l'accroissement de population en Afrique et au déclin de la population active en Europe et dans beaucoup d'autres pays développés». C'est pourquoi, «il est essentiel d'adapter les mesures prises au niveau des politiques en réponse à ces facteurs démographiques, et de concevoir des arrangements multilatéraux pour gérer les migrations futures». Pour M. Ratha, «les pays africains doivent renforcer les liens entre diasporas et pays d'origine, protéger les migrants et accroître la concurrence sur les marchés des envois de fonds. Sinon, le potentiel qu'offrent les migrations pour l'Afrique reste en grande partie inexploité» Des bons titrisés pour la diaspora Pour mieux exploiter ce potentiel, la BM préconise l'émission de bons de la diaspora, qui sont des titres mis en vente par des entités publiques ou privées auprès de nationaux établis à l'étranger. Selon M. Ratha, les pays d'Afrique subsaharienne pourraient mobiliser par ce biais des montants de l'ordre de 5 à 10 milliards de dollars par an. Plusieurs Etats africains ont d'importantes diasporas dans des pays à revenu élevé et sont donc potentiellement à même d'émettre des bons de ce type : ce sont l'Ethiopie, le Ghana, le Kenya, le Liberia, le Nigeria, l'Ouganda, le Sénégal et la Zambie, en Afrique subsaharienne et l'Egypte, le Maroc et la Tunisie, en Afrique du Nord. A travers ce moyen, «les banques africaines peuvent améliorer leur accès aux marchés internationaux des capitaux en émettant des bons qui sont titrisés au moyen des futurs envois de fonds», a déclaré à ce sujet Mthuli Ncube, économiste en chef de la Banque africaine de développement. Dans ce cas, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale et les donateurs bilatéraux auront à faciliter la titrisation des envois de fonds et en atténuant les risques que présente, pour les pays d'Afrique, l'émission de ces bons. Selon la BM, «les efforts en ce sens peuvent consister à fournir une assistance technique pour la conception des projets et l'analyse de solvabilité, à assurer une gestion prudentielle de la dette et à aider les pays africains à obtenir de bonnes notes souveraines». Les bureaux de poste, coopératives d'épargne et de crédit, banques rurales et institutions de microfinancement peuvent aussi jouer un rôle pour améliorer l'accès des pauvres et des populations rurales aux envois de fonds et autres formes de services financiers, mais ils «doivent éviter de conclure des accords d'exclusivité avec les opérateurs de services de transfert de fonds, car cela restreint la concurrence et tend à accroître le coût des envois», prévient la BM.