Une prison à la place d'une université c'est l'humiliation suprême que vient de subir la vieille cité oasienne, Bou Saâda, appelée anciennement cité du bonheur. Fondée au XVe siècle par Sidi Thamer et Sidi Soleiman Ben Rabia El Fassi, elle a été la terre d'accueil des populations de la qal'â des Béni Hammad après sa destruction, des Soufis venant de Fez attirés par une région qu'ils appelèrent Hodna (entourée affectueusement avec les bras), des lettrés musulmans fuyant Grenade après sa chute en 1492, lieu de fondation du mouvement des Fatimides avant leur départ au Caire, pays des ajouad, les combattants nobles pour l'honneur, la fondation de Bou Saâda leur a tous permis de conserver et perpétuer leurs traditions à travers les siècles. Grâce à ce fabuleux héritage, Bou Saâda était classée, pendant la période coloniale, parmi les villes ayant le plus haut taux de scolarisation et de réussite scolaire. Déjà, les familles ne s'épargnaient aucun sacrifice pour envoyer leurs enfants vers les grands lycées de la capitale. Et pour cause. Le doyen des enseignants boussaâdis, ou peut-être d'Algérie, formé à l'Ecole normale de Bouzaréah, est Baiod Attia. Il a été admis sur concours lors de l'ouverture de l'établissement, en 1865. Il était l'un des trois Algériens sur une trentaine d'Européens que comptait l'école. En 1891, seize autres Bousaâdiens le suivirent. L'école reçut ensuite, régulièrement, des élèves venant de Bou Saâda. Une région d'érudits La médersa d'Alger comptait 12 Boussaâdis et une femme, Zoubida Bisker Abdellatif, faisait partie des quatre premières Algériennes inscrites. Dans le domaine des sciences islamiques, on retrouve Belkacem El Hafnaoui et Abderrahmane Eddissi, aînés de cheikh Abderrahmane Djillali. Muphtis et théologiens, leur érudition leur a donné une place de choix dans les cercles religieux d'Alger. La zaouïa d'El Hamel fut un lieu d'élection pour les Soufis de la tarika Rahmania. Plus près de nous, il y avait — et il y a toujours, chaque année — des cohortes de nouveaux élèves qui rejoignent les promotions précédentes, à tel point qu'il y avait de véritables communautés de lycéens boussaâdis aux lycées franco-musulman de Ben Aknoun pour les garçons et de Kouba pour les filles. Dans le domaine culturel, la cité oasienne n'est pas en reste. Des cinéastes de renom, comme Lakhdar Hamina et Ahmed Rachedi, y ont de très fortes attaches familiales, sans oublier Hanafi et Lebsir. La ville a donné naissance à des écrivains comme Mohamed Kacimi, Barkahoum Ferhati et Souâd Khodja. Sofiane, le lauréat de Alhan oua Chabab, nous en voudrait si on ne le citait pas. Sans oublier le petit Omar de Dar S'bitar, le film réalisé par Mustapha Badie. L'art des artisans de la ville qui ont su conserver un savoir-faire ancestral, a été sollicité pour la restauration d'anciens palais ottomans, notamment celui du palais du Dey à Alger. Ville touristique en ses temps de gloire, ses paysages fabuleux, son ksar (palais) moyenâgeux, la légendaire hospitalité de ses habitants, leur humour affectueux ont su séduire les peintres orientalistes comme Etienne Dinet et Vershafelt, des écrivains comme Colette ou Isabelle Eberhardt, entre autres. L'émir El Hachemi, fils de l'Emir Abdelkader, a choisi d'y finir sa vie et d'y être enterré et son fils l'émir Khaled y a passé une grande partie de son adolescence. Plus près de nous, le professeur Nacib en a fait l'objet de sa thèse de doctorat et le défunt M. Lacheraf, qui y exerça comme bach adel, lui aussi tombé littéralement sous le charme de sa population, lui a réservé de belles pages dans ses écrits. Le défunt président Boudiaf, dont la mère est née dans cette ville, y a fait ses études secondaires. Sur le plan résistance, cette région fut le pivot central où était installé le QG de la Wilaya VI historique. Elle fut le théâtre d'une guerre acharnée sur deux fronts simultanément : le colonialisme et sa 5e colonne (le général Belounis et consorts). La Bousaâdienne Hafssa Bisker Bentoumi, moudjahida, membre fondatrice de l'Ugema, fut aussi la première pharmacienne d'Algérie. Face à ce palmarès des plus honorables, les habitants de la cité du bonheur se laissaient aller à rêver, le nom de Bou Saâda lui-même se disaient-ils, suggérant essaâda, c'est-à-dire le bonheur. Les amis de la nature rêvaient d'en faire un havre de paix et de farniente où les plus grands artistes viendraient chercher leur inspiration au milieu de paysages idylliques. Ils espéraient même un raccordement à l'autoroute et au rail de M'sila pour sortir la ville de son enclavement, l'extension de l'Ecole hôtelière pour en faire une Ecole africaine et même l'édification d'une école de cinéma. Même Hollywood prévoyait d'en faire un plateau de tournage et Cecil B. DeMille, après y avoir tourné Samson et Dalida, des pistolets pour César, un projet bien évidemment jeté aux oubliettes face à la plus grande disponibilité de Ouarzazate, au Maroc. Une demande pour y édifier une annexe de l'Ecole des beaux-arts n'a pas connu de suite malgré l'avis positif du ministère de la Culture. Un institut de musique, une maison de la culture y sont prévus depuis longtemps, longtemps.... La maison de l'artisanat, le seul projet enfin réalisé, n'est toujours pas connectée aux réseaux de Sonelgaz depuis plus d'un an. Le projet de restauration du ksar est toujours en projet.... Il y a quand même un petit jet d'eau, un tout petit, qui vient d'être inauguré au centre-ville. La ville s'est dégradée à vue d'œil et a perdu inexorablement de son aura jusqu'à devenir un immense magma de cubes en béton dans de hideux démembrements anarchiques qui s'étirent en tous sens et enserrent l'ancienne médina jusqu'à l'étouffer. Les atouts touristiques qui faisaient sa renommée et qui n'ont pas encore disparu, juste en raison de leur inutilisation ou d'un changement d'activité, croulent sous les stigmates du temps. Après la fermeture précipitée des quelques unités économiques étatiques dans les années 1990, le chômage caracole à des sommets vertigineux, à plus de 40%, notamment parmi les gens formés, particulièrement les universitaires. Bou Saâda est aujourd'hui classée parmi les villes les plus pauvres d'Algérie. Par contre, le projet de construction d'une prison — à l'entrée de la ville de surcroît, ce qui est très encourageant pour le tourisme — a été mené à terme dans des délais inattendus. Le statut de wilaya lui ayant été refusé, le projet d'implantation d'une annexe de l'université de M'sila, gelé ainsi que tous les autres projets de développement de la ville, a entraîné la récente démission collective des membres de l' APC de la ville et, par solidarité avec eux, ceux de la très proche Oueltem. Trop, c'est trop ! Tout ceci donne l'impression d'une punition collective dont on ne connaît pas la cause réelle. Un projet de wilaya datant de 1974 !Outre ses atouts touristiques reconnus mondialement, tout destinait cette ville à devenir l'un des principaux pôles du savoir du pays. Et abriter le chef-lieu d'une wilaya. Lors des découpages aqministratifs décennaux, Bou Saâda a raté plusieurs fois la concrétisation de son ambition d'être érigée en chef-lieu de wilaya, ce qui lui aurait permis de rejoindre le rang qui est le sien dans tous les cas de figure, pour peu qu'on la compare honnêtement à d'autres villes (voir Journal officiel de 1973 traitant des 31 villes à promouvoir en priorité). Il y a eu certes plusieurs promesses, depuis l'indépendance, de corriger cette absurdité même par les plus hautes instances du pays. Malheureusement, elles sont demeurées sans suite. Les anciens se rappellent de la grande fête de plusieurs jours que préparaient, en 1974 , avec espoir et fierté, les 14 archs de la région parce qu'une source bien introduite dans les arcanes du pouvoir leur avait laissé entendre que leur ville avait été officiellement promue chef-lieu de wilaya. Alors que les premières festivités venaient juste de démarrer dans l'allégresse générale, la terrible nouvelle s'abattit comme la foudre : la ville ne sera pas classée wilaya. Elle eut ainsi droit à ce titre pendant 24 heures, paraît-il, avant d'en être dépouillée. Cette scandaleuse aventure fut la source d'une déception mortifiante qui sema dans les esprits les germes d'une grande frustration, celle d'avoir été injustement rétrogradée. Elle marqua le début de la désillusion que les habitants de la ville traînent jusqu'à aujourd'hui avec la certitude ancrée à jamais dans la mémoire collective d'avoir été grossièrement abusés. Et, comble de l'ironie, l'armée de diplômés dont disposait cette ville en a fait un immense vivier dans lequel les autres wilayas nouvellement créées et qui ne disposaient pas de personnels qualifiés, ont puisé l'encadrement nécessaire à leur démarrage et à leur gestion. Un projet d'implantation d'une université suspendu Pourtant, une lueur d'espoir de vaincre l'adversité avait brillé, il y a plus d'un an, lorsque devant l'insistance des citoyens au cours d'une rencontre avec les représentants de la société civile, le wali précédent avait annoncé la construction d'un pôle universitaire et affirmé que le terrain d'implantation avait été définitivement choisi. Tout le monde avait cru, ce jour-là, que c'était enfin le début d'une prise en charge des problèmes de la cité. Il y aurait, selon lui, d'autres nouvelles belles surprises dans le cadre du développement d'une région longtemps mise sous l'éteignoir et ne recevant que les miettes des projets de développement. les Boussaâdis avaient placé de grands espoirs dans ce projet, considéré comme une nécessité pour faciliter le déplacement pénible des étudiants et étudiantes venant de villages comme El Hamel, Eddis, Aïn Rich, Aïn Fradj, Ben Srour, Romana, El Alleig, respectivement situés à 20, 40, 70 km, et qui doivent d'abord transiter par Bou Saâda avant de rejoindre M'sila. En outre, cette université pouvait offrir des débouchés honorables aux très nombreux universitaires au chômage et en même temps permettre à ceux-ci d'apporter leur pierre au développement du pays par leurs travaux de recherche et de réflexion. Récemment, alors que le nouveau wali n'avait pas encore eu le temps nécessaire de s'imprégner des spécificités locales, la ville eut droit à son coup de grâce : le pôle universitaire tant attendu a été transféré. Le rêve de rattraper l'immense retard accumulé est encore une fois brisé avec tous le ressentiment que cette décision ne manquera pas de conforter dans les esprits déjà passablement exacerbés par l'accumulation des échecs et le manque de perspectives. Les Boussaâdis demandaient une université, ils obtinrent une prison Les Boussaâdis ont le cœur en berne. Ils attendaient une université et ce fut une... prison cinq étoiles, positionnée bien en vue, à l'entrée nord de la ville, sur le côté gauche de la route venant d'Alger. Et cela, malgré le tollé que ce projet avait soulevé auprès de la population qui avait envoyé une lettre de protestation au ministre de la Justice. Une loi protégeant les sites touristiques n'aurait-elle pas dû être invoquée ? On ne peut pas rater le sinistre panorama de cette longue et haute muraille d'enceinte hérissée de ses menaçantes guérites qui laisse apparaître par endroits les toits uniformes d'un agglomérat de bâtisses en béton s'étendant sur plusieurs hectares. Une indécente verrue aux alentours immédiats de la nouvelle ville ! Sur un territoire de plus de 2,5 millions de kilomètres carrés, dont 90% sont inhabités, on n'a pas trouvé mieux pour implanter cette maison d'arrêt qu'une ville traditionnellement à vocation touristique et destinée à en devenir un pôle important, d'après les spécialistes du secteur. A l'évocation de ce cadeau empoisonné, une partie de la population est envahie par un terrible sentiment d'indignation, alors que d'autres détournent pudiquement le regard comme pour vite évacuer de leur esprit cette image saugrenue ; mais tous partagent le même sentiment : une humiliation infinie. Quelques uns soutiennent que cette prison va offrir tout de même plusieurs postes d'emploi, oubliant que, de ce fait, son unique source de revenus étant le tourisme est fortement menacée. Et que l'implantation d'une université est autrement plus créatrice d'emplois. Pour aller vite et la réaliser dans les délais requis, on fit appel à des entreprises venant du lointain empire du Milieu en raison de leur célérité au travail et de leur expérience millénaire dans l'édification des grandes murailles. Elle est là, dressant son allure peu avenante. Il est évident que les prisonniers ont droit à un lieu de détention correct, mais il doit être choisi judicieusement. Si Cecil B. DeMille avait oublié de prévoir dans son projet une réplique d'Alcatraz, le fameux pénitencier, c'est désormais chose faite. Tant pis, Bou Saâda gardera, grâce à cette généreuse attention, sa célébrité, non pas en raison de son tourisme et de son université, mais par la qualité de son pénitencier. Mais là, ce n'est plus du cinéma ! Il est encore temps de déplacer ce projet ailleurs, le sud du pays étant immense, et de donner une autre vocation administrative à ce projet après quelques adaptations. Les Boussaâdis ne perdent pas espoir de voir le projet d'implantation d'une université concrétisé par la tutelle.
Liste des films tournés à BS : http://wvvw.boll-saada.net/Cincma.htm http://souadbollsaada-sabnet.blogspot.com