Ni flics, ni militaires, ni GLD… mais députés, fils de hauts responsables, importateurs ou simples mouhafedhs du FLN : ils sont munis du permis de port d'arme depuis des années, acquis légalement ou en contrepartie de pots-de-vin grâce à leur réseau. Pour des raisons sécuritaires ou juste pour la frime. L'état d'urgence levé, le fichier des Algériens armés sera-t-il ouvert ? «Je suis armé et j'ai mon permis de port d'arme à feu». Salah* exhibe fièrement son pistolet et le document l'autorisant à le porter sur lui. Salah, 30 ans, est importateur sans registre du commerce. Son premier permis de détention d'arme à feu, il l'a obtenu en 2006. «Mon autorisation a été signée par Ali Tounsi», précise-t-il. Grâce à ses relations héritées de son père, lui-même importateur, Salah a entrepris les démarches, comme de nombreux autres commerçants «zélés», auprès de la DGSN. On en reparle aujourd'hui alors que le 28 février dernier, Z. H., 32 ans, exportateur de déchets ferreux, fils d'un colonel, ainsi que son chauffeur, ont comparu devant la cour criminelle du tribunal d'Alger pour tentative d'homicide en utilisant une arme à feu. Z. H. est aussi poursuivi pour avoir tiré sur le barrage de police de la cité Malki et pour bien d'autres affaires de règlement de comptes. «A la fin des années 1990 et au début des années 2000, posséder un permis de port d'arme à feu était devenu presque une mode dans les milieux d'affaires, que ce soit à Alger ou dans l'est du pays», explique un ex-commissaire. Salah n'est pas le seul à s'être procuré ce document. Son ami, trabendiste de Dubaï, a obtenu l'autorisation en 2007. «Grâce à Salah, par l'intermédiaire d'un commissaire rencontré dans un bar à Alger, et en contrepartie d'un millions de dinars…, confie Mourad, inquiet. Mais avec du recul, je n'aurais jamais dû demander cette autorisation, car c'est un grand poids et je ne vois pas son utilité.» Dérives Un ex-commissaire, bien au fait du dossier, reconnaît : «La DGSN a délivré plusieurs permis de port d'arme à des individus pour leur sécurité, parmi eux de gros industriels et de gros commerçants. Seulement voilà, dans la foulée, un grand nombre d'importateurs sans existence juridique ont pu aussi en bénéficier. Je me suis moi-même opposé à ces passe-droits, car à l'époque au sein de la corporation, c'était devenu un business très juteux ! Des commissaires et des militaires se sont enrichis grâce à ces pratiques. Aujourd'hui, je ne suis pas certain que la DGSN possède réellement un fichier national avec toutes les personnes qui ont par le passé bénéficié de ces autorisations…», révèle-t-il. L'instauration de l'état d'urgence et l'instabilité sécuritaire qui prévalait et continue toujours à sévir dans certaines régions ont mené «quelques agents des services à devenir carrément des intermédiaires pour l'obtention du permis de port d'arme, en contrepartie de grosses sommes d'argent. Les permis étaient délivrés par les Régions militaires, à l'époque sur le qui-vive. Résultat : de hauts gradés ont profité de la situation pour délivrer des autorisations à leurs proches et connaissances. Maintenant, il faut aller dans le sens de l'assainissement des listes et étudier la question très sérieusement», réclame un colonel à la retraite. Car des dérives, il y en a. L'été dernier, un importateur aurait, selon le témoignage de policiers, sorti son arme à feu et tiré en l'air lors d'un cortège nuptial, à côté du point de contrôle à proximité de l'université de Bab Ezzouar. Les policiers, affolés, l'ont plaqué à terre mais «il a suffi qu'il passe un coup de fil sur place pour que l'ordre de le relâcher grésille dans le talkie-walkie», se souvient un policier présent ce jour-là. «J'ai supplié mon père» Cette mode a aussi touché les fils de hauts responsables de l'Etat. «Je ne supportais pas le fait que des bagara exhibent leurs armes à feu alors que moi, fils d'un haut cadre de la nation, je n'en avais pas. J'ai supplié mon père pour en avoir une…», confie Hafid, 28 ans, fils du chef de protocole d'un ministère. Les fils des militaires, eux, étaient les premiers à bénéficier d'une autorisation, «même si elles n'étaient pas toutes notifiées aux service de sécurité…, nous précise une source sécuritaire. A l'époque, sur simple présentation d'une pièce d'identité portant l'adresse de certaines résidences, ces personnes étaient relâchées». Rabah, fils d'un colonel, gérant d'une entreprise privée, s'est vu délivrer un permis de port d'arme à feu en 2001. «Les années de terrorisme n'étaient pas encore terminées, mes chantiers se trouvaient à Tipasa et Blida, des régions particulièrement touchées, alors j'ai sollicité mon père et la gendarmerie m'a donné les documents nécessaires», raconte-t-il. Et de préciser : «Ce n'était en aucun cas de la frime, mon père s'était d'ailleurs catégoriquement opposé à ma requête avant de revenir sur sa décision, vu les risques que je prenais.» Pourtant, une partie des autorisations de port d'arme attribuées dans les années 1990 ont été retirées pendant les années 2000. «C'est vrai, pendant la décennie noire, il n'était pas facile d'être directeur d'une banque ou d'une entreprise publique, car nous étions des cibles pour les terroristes, et l'Etat nous a armés, mais nous étions soumis à un contrôle strict de la part des services de sécurité ! confie un ex-directeur d'une unité industrielle à Sour El Ghozlane. Une fois le calme revenu, grâce notamment au redéploiement des services de sécurité dans certaines régions, les permis ont été retirés à certains.» Demandes en catimini Par leur qualité d'ancien moudjahid, certains mouhafedhs du FLN possèdent pourtant encore des permis de port d'arme depuis des années, comme l'atteste cet ex-mouhafedh de l'est du pays. «A l'époque, ces permis n'avaient presque aucune valeur. C'étaient plutôt les permis de chasse qui étaient sollicités. Mais depuis les années 1990, certains ont éprouvé le besoin de se sentir en sécurité, ce qui était légitime. Le problème, souligne-t-il, c'est que d'autres personnes ont profité illégalement de la situation pour se procurer ces fameux permis, alors que ceux qui en avaient vraiment besoin ont été dépossédés de leurs armes ou se sont simplement vus refuser l'octroi d'autorisations par les services de sécurité…» Les députés, eux, n'étaient pas en reste : nombreux sont ceux qui ont profité de la situation sécuritaire pour demander un permis de port d'arme à feu. «Ils l'ont obtenu, mais ils n'étaient pas nombreux. Car pendant la décennie noire, ils habitaient dans des zones sécurisées et leur travail consistait à se déplacer au Parlement, à lever la main et à revenir au bercail», ironise un ex-député. Selon une source à l'APN, la sixième législature aurait connu un nombre croissant de demandes déposées au niveau du bureau de l'Assemblée. «Les demandes se font en catimini, individuellement, sans l'aval des partis, au motif qu'ils craignent pour leur sécurité pendant l'exercice de leurs missions. Mais le bureau de l'APN traîne à répondre à ces sollicitations. Car certains de ces députés ne sont en réalité que de nouveaux importateurs», révèle une de nos sources. L'année dernière, poussé à bout, le mouhafedh sénateur Zitouni, du FLN de Annaba, dans la foulée des événements qui ont secoué l'ex-parti unique, a brandi son arme à feu pour faire peur aux jeunes militants qui gardaient le siège afin de les forcer à lui ouvrir le portail. «Zitouni était prêt à nous tirer dessus», racontait alors un des jeunes militants barricadés à l'intérieur. Alors que pendant des années, les habitants des régions touchées par le terrorisme, notamment la Kabylie et à l'est du pays, réclamaient des armes pour leur sécurité, ou plus récemment encore à Tizi Ouzou et Bouira, où des citoyens réclament la restitution de leurs armes à feu et fusils de chasse, l'Etat refuse de répondre. Mais d'autres privilégiés continuent de bénéficier du permis de port d'arme sans aucun contrôle et pour des motifs injustifiés. *Les prénoms ont été changés