Le problème crucial de notre pays demeure le chômage. Il est talonné par le logement et le niveau de vie qui continuent d'être les préoccupations majeures des citoyens. Nous avons évoqué les deux dernières préoccupations auparavant. Toutes ces difficultés sont reliées.De bons emplois permettent à leurs détenteurs d'être éligibles aux crédits pour acquérir une habitation. L'inquiétude sur l'emploi reste la hantise majeure de nos concitoyens. Et de toutes les causes qui induisent le chômage il y en aurait une qui transcende tout le reste : la faiblesse en termes de création et de développement des entreprises. Bien évidemment qu'il y aurait d'autres explications : l'inadéquation entre formation et besoins réels, la faiblesse de la productivité, etc. Mais la raison fondamentale demeure l'insuffisance avérée en matière de création et de développement des entreprises. Si l'offre d'emploi était abondante, les entreprises auraient recyclé les ressources humaines et rapproché les qualifications des besoins. Mais elles ne le font point. Car les emplois sont rares malgré l'abondance des ressources. Quelques données Parfois des données significatives éclairent quelque peu les éléments du problème.Même si les statistiques dont nous disposons sont trop approximatives, elles éclairent quelque peu les données du problème. A supposer que le taux d'erreur contenu dans les informations serait de 50% ; ce qui serait énorme, les conclusions de l'analyse ne changeraient pas. Il n'y a donc pas lieu de se quereller avec les chiffres pour essayer d'obtenir une précision électronique dans notre cas. Considérons le premier volet de la problématique. Chaque année en moyenne nous avons 380 000 nouvelles demandes d'emploi. Ce sont les sortants des universités, des centres de formation professionnelle et du service national qui viennent grossir le rang des demandeurs d'emploi. Les entreprises productives, publiques et privées, arrivent à créer, quelque 30 000 postes d'emploi par an. Même si on envisage un remplacement des départs en retraites de 100 000 par an (en tenant compte des sureffectifs dans beaucoup d'administrations) et d'une croissance de l'économie informelle on arriverait à un écart de 240 000 emplois par an. Il faut donc agir sur l'offre et la demande afin d'arriver à un équilibre dans un horizon de temps voulu. En démultipliant les chantiers de réalisation nous arriverons à réduire le taux de chômage, mais avec des emplois précaires qui risquent de disparaître dès que l'Etat cessera d'injecter des ressources dans l'économie. Juste un mot sur le taux de chômage de 10% qui paraît inapproprié pour beaucoup de citoyens. Les analystes n'ont aucun moyen de vérifier son exactitude. Un travailleur retraité me fit cette observation il y a une dizaine de jours : «Comment peuvent-ils nous dire que 9 personnes sur 10 travaillent, alors que dans l'immeuble où j'habite sur 31 personnes qui désirent activer, seulement 11 personnes ont un emploi. C'est le cas pour tous les quartiers et toutes les villes que je connaisse. Je ne sais pas d'où ils sortent leurs chiffres.» Je n'avais aucune réponse précise à lui fournir tant son échantillon paraissait représentatif. Mais notre thème n'est pas celui de l'exactitude de données mais plutôt de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à cette situation. La première cause majeure du chômage et de l'enlisement dans le sous-développement est sans nul doute la faiblesse de l'économie productive. Nous n'avons pas suffisamment d'entreprises et encore moins celles dont le management serait de classe mondiale. Pour le premier aspect, les chiffres sont éloquents : nous créons 70 entreprises par 100 000 habitants par an. Alors que les pays à niveau de vie similaire en créent 350. Le rythme de naissance est cinq fois moins que ce qui est considéré comme normal dans des pays similaires. Par ailleurs, le parc des entreprises existantes est encore plus faible. Nous avons quelque 450 000 entreprises. Le Maroc possède à peu près 1 100 000 entreprises, plus du double avec un revenu par tête d'habitants beaucoup moindre que le nôtre. Notre pays aurait dû avoir plus de 1 500 000 entreprises. Nous avons là une des causes majeures du chômage et l'absence de perspectives de développement. Nous sommes conscients de l'importance capitale d'autres facteurs : l'efficacité managériale, la qualité de la formation, l'environnement des affaires. Causes réelles Nos stratèges ont une drôle de manière de concevoir les schémas de développement du pays. Ils commencent par l'énumération approximative des besoins sociaux à satisfaire dans les prochaines années : logements à construire, routes, barrages, écoles, etc. On affecte le maximum des ressources disponibles afin de les satisfaire à un horizon donné ; et ce qu'il en reste, on le saupoudre pour créer des entreprises ou pour en accompagner le développement de celles qui réussissent et beaucoup moins pour améliorer l'environnement des affaires. Mais avec une croissance démographique comme la nôtre (elle repart à la hausse), il faut mobiliser de plus en plus de ressources, à partir de la rente, pour financer des besoins sociaux infinis. Il faut savoir par exemple, que pour la problématique du logement, nous en créons 200 000 par an, mais il faut en construire 800 000 sur vingt ans pour juguler le problème. Dans cette situation, l'entreprise peut attendre. Et pourtant ! Elle seule serait capable de régler les problèmes sociaux à moyen terme.Beaucoup de pays font le chemin inverse. Un expert coréen (du Sud) expliquait la démarche de son pays en ces termes : «Aux premières phases du développement, nous n'avions pas beaucoup de ressources. Nous les avons affectées dans deux directions : la maîtrise de la science et la technologie et la création d'entreprises.» Ce qui signifie à peu près ceci : si l'on commençait par mettre des ressources dans l'économie productive, nous aurions suffisamment d'emplois, de revenus, de taxes pour régler l'ensemble des problèmes. Considérons la préoccupation de l'habitat, si nous avions 1 500 000 entreprises, on pourrait construire plus de logements ; le taux de chômage avoisinerait les 2%, le revenu par tête d'habitant serait tel que la majorité des citoyens obtiendrait des crédits bancaires pour financer leur logement ; la pression sur le logement social serait beaucoup plus faible ; l'Etat aurait plus de taxes hors hydrocarbures (donc durables) pour financer les écoles, les barrages et le reste. Mettre l'entreprise au centre des politiques économiques La politique économique qui prend forme en priorité à partir des besoins de création et de développement des entreprises est la plus juste ; pour la simple raison que la croissance des entreprises comprime les besoins sociaux et offre à l'Etat plus de ressources pour les régler. Lorsque l'Etat réduit les taxes, finance des zones industrielles, introduit des crédits bonifiés, il investit dans l'avenir pour créer des activités durables. Il est donc nécessaire de mettre l'entreprise au centre des préoccupations de l'Etat. Les politiques économiques doivent se concevoir en priorité à partir des besoins de l'entreprise. Beaucoup de nos citoyens verraient cela comme une «offrande» aux hommes d'affaire, un enrichissement de ceux qui en ont déjà. Le débat est long dans ce contexte. Une économie de marché s'accommode bien d'une large diffusion de l'entrepreneurship. On peut généraliser les incubateurs et les pépinières pour que les futurs entrepreneurs soient surtout les porteurs de projets. Ceci est tout à fait faisable. Mais pour qu'une dynamique économique s'instaure, il faut bien qu'il y ait de la compétition et que l'on récompense les meilleurs dans ce domaine. L'être humain a besoin de stimulants matériels et psychologiques pour donner le meilleur de lui-même. Il n'y a pas d'autres alternatives que de mettre l'entreprise au centre des politiques économiques. Les deux autres options possibles sont inopérantes. La première consiste à échafauder des plans en se basant surtout sur les besoins sociaux à satisfaire. Nous aurons alors une quantité d'entreprises insuffisante et de piètre qualité. Lorsque les ressources de la rente s'amenuisent, l'économie toute entière court un grave risque de dislocation. La seconde option consiste à socialiser l'économie ; et là l'expérience des ex-pays de l'Est est édifiante à cet égard. Nul n'a réussi à édifier un système socialiste performant. Aujourd'hui, nous avons des modes d'économie de marché qui savent tant bien que mal concilier efficacité économique et bien-être social : Allemagne, pays scandinaves, etc. Mais nous n'avons aucune réussite socialiste. C'est donc une option à écarter. Mais dès lors que l'on veuille construire une économie de marché sociale qui fonctionne efficacement, nous n'avons aucun autre choix que de commencer par satisfaire avant tout les besoins de création et de développement de nos entreprises publiques et privées.