Après des années d'hésitation et de polémique, la loi 10-03 du 15 août 2010, fixant les conditions et modalités d'exploitation des terres du domaine privé de l'Etat, a permis de clore les débats sur la question du statut juridique des terres agricoles du secteur privé de l'Etat. Mais en dehors de l'aspect juridique du foncier, d'autres questions sont pertinentes à soulever afin de permettre un développement agricole harmonieux.L'agriculture est une activité économique qui s'appuie sur trois facteurs de production : la terre, le capital et la force de travail. Dans cet article, nous voulons aborder la question de la force de travail qui est très souvent déterminante dans la mise en œuvre des politiques agricoles. Il faut rappeler que la question de la force de travail a fait l'objet par le passé de politiques de formation, qui n'ont pas donné les résultats escomptés. Selon Bedrani, «la politique de formation a surtout été tournée vers l'obtention de cadres et non vers l'amélioration du savoir scientifique et technique des producteurs directs. En effet, à partir de 1970, l'accent est davantage mis sur la mise en place d'instituts de technologie formant des ingénieurs de différents niveaux ou des techniciens, que sur les centres de formation professionnelle accueillant des agriculteurs et sur la vulgarisation». (Bedrani, 1981) Or, l'activité agricole n'est pas seulement une question de formation, mais aussi et surtout une question culturelle. Sans aucun doute, l'environnement familial et social contribue fortement à la formation des agriculteurs, même si cette formation reste souvent insuffisante, ce qui conduit à dire que «la qualification de la force de travail agricole ne se mesure pas nécessairement par le niveau d'instruction générale. Plus que tout autre, le travail agricole nécessite un savoir-faire que seule une longue expérience peut donner. Cela est dû tout simplement au fait que les objets de travail (terre, eau,...) et les conditions naturelles (climat, pluviométrie,...) ne sont pas identiques d'un endroit à un autre et du fait que leurs connaissances scientifiques sont loin d'être systématiquement disponibles dans un pays comme l'Algérie. Nous admettons, cependant, qu'à savoir-faire égal, un travailleur possédant une instruction générale ou spécialisée est plus qualifié qu'un travailleur analphabète. (Bedrani, 1981) Cette reproduction culturelle et donc spontanée de la force de travail dans l'agriculture donne une alternative intéressante aux pouvoirs publics pour identifier les agriculteurs susceptibles de prendre en charge l'activité agricole. Par conséquent, ce sont ces agriculteurs ou ces futurs agriculteurs qui doivent faire l'objet d'une attention particulière. Autrement dit, il s'agit de les identifier et de les accompagner afin d'améliorer la professionnalisation de cette catégorie d'agriculteurs dans le but ultime de rentabiliser l'activité agricole. Or, cette force de travail compte parmi elle des agriculteurs sans terre. Voilà toute l'ambiguïté, car la réglementation ne reconnaît pas les agriculteurs sans titre de propriété ou tout autre titre qui permet l'accès au foncier. De ce fait, cette réglementation occulte une catégorie socioprofessionnelle qui est contrainte d'évoluer dans l'informel. Mais en plus, le mode de faire valoir indirect, qui permet l'accès au foncier agricole, n'est pas réglementé, de sorte à encourager cette catégorie d'agriculteurs à évoluer dans la sécurité foncière. Par ailleurs, ces agriculteurs ne bénéficient d'aucune aide de l'Etat et d'aucun avantage et risquent en plus d'être pénalisés sur les routes par les agents de l'ordre public sous peine de transporter des produits agricoles, alors qu'ils ne peuvent prouver la profession à laquelle ils se vouent. Il faut dire que «1'école de la vie» offre sur le marché de l'emploi des agriculteurs qui méritent d'être soutenus et encouragés. En effet, cette «école», qui ne coûte pratiquement rien à l'Etat, forme entre autres des «entrepreneurs agricoles» en mesure de contribuer à la mise en œuvre des politiques agricoles ; et quoi qu'il en soit, cette catégorie d'agriculteurs représente un atout non négligeable aux pouvoirs publics afin de lever le défi de la sécurité alimentaire. En conclusion, il semble que les pouvoirs publics doivent réviser la réglementation qui régit la Chambre d'agriculture afin de permettre aux agriculteurs sans terre d'y accéder pour bénéficier du statut d'exploitant agricole. Il faut rappeler qu'aujourd'hui, «les grandes unités agricoles intensives dans les régions les plus performantes en France - principale puissance agricole du monde - sont exploitées sous le mode du fermage - qui représente selon les dernières statistiques un mode de faire valoir dominant et en progrès constant». (Bessaoud, 2005) Cette première phase devra permettre le recensement et l'identification de cette catégorie socioprofessionnelle dans le but de la faire sortir de l'informel et de mettre en évidence une réalité inconnue. Cette phase devra se poursuivre par l'amélioration de la qualification et la sécurisation de ces agriculteurs de l'ombre.
Note : Bedrani S., 1981. L'agriculture algérienne depuis 1966. OPU, Alger. Bessaoud O., 2005. La sécurisation foncière en Algérie : Rencontre internationale sur le financement de l'économie algérienne. Ministère des Finances, Alger Algérie, 15 pages.