Dans le tableau des protestations, l'on ne saurait occulter la série noire des immolés par le feu qui n'a de cesse de s'allonger. Après les harraga, les «mahrouguine». C'est presque au forceps que le discours à la nation du chef de l'Etat a été arraché. Il faut dire que le mutisme du premier magistrat du pays ne pouvait durer plus longtemps sans être interprété (à juste titre) comme du pur mépris par une opinion publique désemparée. Les contextes national et international bouillant ne pouvaient, en effet, justifier un silence prolongé du pouvoir. Au plan national, cette sortie publique du chef de l'Etat survient dans un contexte sociopolitique particulièrement tendu, marqué par des grèves à répétition, des débrayages et autres mouvements sociaux qui se radicalisent de plus en plus. Tous les segments de la société sont concernés, et il n'est pas un seul secteur d'activité qui soit épargné par ces remous. Et s'il est une seule image à retenir à ce propos, c'est bien la marche spectaculaire des étudiants qui ont répondu massivement à l'appel de la Coordination nationale autonome des étudiants, et qui ont littéralement assiégé la présidence de la République, mardi dernier, pour crier leur ras-le-bol devant la déliquescence de l'institution universitaire. Avant eux, les enseignants contractuels avaient défrayé la chronique en squattant dix jours durant l'un des trottoirs jouxtant le palais d'El Mouradia pour dénoncer la gestion de Benbouzid et exiger leur réintégration. Citons également la bronca des gardes communaux ou encore le mouvement de protestation des paramédicaux auquel a succédé la grève illimitée des médecins résidents. De leur côté, les cheminots grondent et exigent, eux aussi, leur part de dignité. Même les journalistes du secteur public sont montés au créneau pour faire valoir leurs revendications socioprofessionnelles, c'est dire… Dans ce tableau, l'on ne saurait occulter la série noire des immolés par le feu qui n'a de cesse de s'allonger. Après les harraga, les «mahrouguine». Les grands brûlés de la vie. Des cohortes de Bouazizi qui n'hésitent pas à s'asperger d'essence et à recourir à l'extrême après avoir désespéré de se faire entendre. Il ne se passe quasiment pas un jour sans qu'une immolation ne vienne endeuiller un foyer. Sans qu'une émeute n'éclate dans l'une ou l'autre de nos bourgades oubliées. Sans qu'un nouvel élan de protestation ne vienne embraser le front social. Qu'on songe aux dernières émeutes de Diar Echems et de Diar El Kef et toutes les autres jacqueries des mal-logés qui se voient régulièrement exclus du programme du million de logements si cher à Boutefika. Ceci pour le front social. Au niveau politique, il convient de rappeler tout le travail de fond accompli par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) avec ses deux ailes (partisane et société civile), elle qui a sensiblement contribué à donner un contenu politique à des revendications souvent cantonnées dans le seul registre social. Outre la CNCD, les initiatives citoyennes se multiplient et les sigles se bousculent sur facebook, signe là aussi d'un frémissement citoyen sans précédent. Sur le plan international, le pouvoir algérien ne pouvait rester indéfiniment insensible aux fortes répliques du printemps insurrectionnel arabe. La chute brutale de Ben Ali et Moubarak, la situation explosive en Libye, la révolte populaire en Syrie, les soulèvements contre le président Ali Abdallah Saleh au Yémen, sans oublier le Bahreïn, la Jordanie, le Maroc aussi, tout cela a créé un nouveau climat, un nouvel état d'esprit, et Bouteflika lui-même l'a reconnu dans son allocution. Last but not least : le rapport du département d'Etat américain sur la situation des droits de l'homme en Algérie. Un rapport qui pointe du doigt les graves restrictions aux libertés publiques et les lourdes entraves aux activités politiques dans notre pays, des pratiques qui continuent malheureusement à sévir malgré la levée de l'état d'urgence, pourtant annoncée en grande pompe.