- La Banque d'Algérie craint de fortes pressions inflationnistes après les dernières hausses des salaires. Quelles conséquences pour l'économie ? Les pressions inflationnistes sont effectivement là. Les augmentations des salaires influent sur l'inflation de deux façons. D'un côté les augmentations de salaire augmentent les revenus disponibles des ménages qui, s'ils consomment ce revenu additionnel, vont demander plus de produits et ainsi induire de l'inflation en vertu de la loi de l'offre et la demande. L'autre effet qui va dans le même sens vient des coûts des produits. Les entreprises algériennes (productrices et/ou importatrices) ont connu une augmentation sensible de leurs coûts d'approvisionnement et de leurs frais financiers : les cours de beaucoup de matières premières ont augmenté et l'obligation du recours au crédit documentaire a augmente de façon considérable les frais et commissions bancaires que paient les entreprises pour leur approvisionnement tout en augmentant leur besoin de fonds de roulement. L'augmentation des salaires, si elle n'est pas liée à une augmentation de la productivité, constitue un autre élément susceptible d'augmenter les coûts des entreprises et renforcer la pression inflationniste. - Le ministre des Finances compte sur l'augmentation de l'épargne pour atténuer ce risque. Dans quelle mesure cela est-t-il possible ? Je pense que la déclaration à laquelle vous faites référence ne constituait qu'un des leviers envisagés pour prévenir l'inflation. Il est vraisemblable que le ministère des Finances et les autorités monétaires ont un plan de contrôle de l'inflation qui suppose l'utilisation de plusieurs leviers, car ce que vous évoquez ne constitue pas toute la réponse. De plus, la transformation des augmentations de salaire en épargne demande plusieurs choses pour que cela se réalise. Car, effectivement, sur papier, le supplément de rémunération accordé récemment pourrait ne pas susciter d'inflation s'il était transformé en épargne plutôt qu'en consommation. Cela dépend cependant du comportement des ménages, qui agissent selon leurs besoins et perceptions. On ne peut pas dicter cette transformation en épargne (comme d'ailleurs pas grand-chose d'autre en économie). On ne peut que créer l'environnement et mettre en place les incitatifs à cet effet. Il faut savoir aussi que de tels incitatifs ne peuvent évidemment avoir de l'effet que si les ménages ont satisfait leurs besoins de consommation de base (nourriture, logement, santé, éducation des enfants...). Car, en général, les choix des ménages ne se font pas entre les besoins de consommation de base et l'épargne, mais entre les biens de consommation discrétionnaires et l'épargne. Les ménages ne se demandent pas s'ils vont remplir leur couffin ou épargner. Ils vont cependant, s'ils sont incités à le faire, choisir entre changer de voiture (ou de téléviseur) et épargner. Et pour cela, il faut donc inciter les ménages à épargner. - Quels sont les mécanismes à mettre en place et les conditions à remplir sur le plan financier et bancaire afin d'encourager l'épargne ? La fiscalité est le principal levier généralement utilisé. La plupart des pays ont un système d'incitation à l'épargne. Le principe est simple: le contribuable n'est pas imposé sur les revenus qu'il épargne, c'est-à-dire ce qui est placé en bourse, dans des fonds communs de placement, des SICAV (société d'investissement à capital variable), dans des sociétés de capital-risque, etc. En fait, pour le salarié (qui paie de l'IRG directement déduit de son salaire), cela revient à faire des économies d'impôts en épargnant plutôt qu'en consommant tout son revenu. Pour l'instant, nous n'avons pas un tel système. Mais si l'on veut d'un côté encourager l'épargne et de l'autre diriger cette épargne vers le développement de nos entreprises, il faudra tôt ou tard que l'on mette en place les mécanismes incitatifs adéquats. L'autre condition est d'avoir des alternatives d'épargne, et cela appelle le développement des marchés financiers afin de fournir des produits d'épargne aux ménages. A cet effet, tous les indices portent à croire que l'épargne déjà disponible sur le marché est importante, même si elle ne provient pas nécessairement des catégories de ménages qui ont bénéficié d'augmentations salariales récemment. L'inflation importante du foncier et de l'immobilier est un indice de l'importance de l'épargne disponible, tout autant que le nombre croissant de terrains, locaux et logements non exploités. Le foncier et l'immobilier sont utilisés comme produits de placement, car ils sont perçus comme les seuls produits d'épargne disponibles. Toute cette épargne se dirige vers ce secteur et cela a une tendance inflationniste sur les prix des terrains et immeubles. Ainsi, si l'épargne n'est pas canalisée vers les bons emplois, elle est susceptible d'alimenter l'inflation. Il faut donc non seulement encourager l'épargne en mettant en place les incitatifs fiscaux adéquats, mais aussi inciter cette épargne à se diriger là où elle est la plus utile pour notre développement économique: vers les entreprises. Cela nécessite la mise en place d'un mécanisme d'incitation fiscale qui exonère les revenus épargnés et des efforts pour développer nos marchés financiers.