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La mémoire qui flanche
Sadek Hadjerès et la guerre d'Algérie
Publié dans El Watan le 13 - 12 - 2005

Après la publication de mon article dans Le Monde daté du 5 novembre dernier, Sadek Hadjerès répliquait dans votre numéro du 8 décembre en m'accusant « de raconter l'histoire par le bout d'une lorgnette idéologique ».
Il a sursauté à cette phrase : « On constate à quel point les partis communistes (algérien et français) étaient coupés de ceux qui allaient déclencher l'insurrection, contrairement à ce que veut nous faire croire aujourd'hui encore Henri Alleg. » Je maintiens !... que le FLN naissant avait tenu à l'écart le PCA en précisant que le FLN n'était pas un parti mais... comme son nom l'indique un front auquel on entrait individuellement. Ce n'est qu'après le déclenchement du 1er Novembre 1954 qu'il y eut des contacts FLN/PCA qui se soldèrent par un échec à cause du refus de ce dernier d'accepter de se dissoudre. Ce qui devait le conduire à créer des maquis autonomes concurrents et éphémères : « Les combattants de la libération » (ou « maquis rouges »)... qui n'avaient, évidemment, aucun avenir. Je ne sais si c'est une lorgnette idéologique qui amène Sadek Hadjerès à affirmer qu'en accord avec le FLN, les « combattants de la libération » furent intégrés dans l'ALN, mais la réalité fut quelque peu différente. Idem pour l'unanimité dans le PCA ! Et j'ai une nette tendance à me référer et à croire certains témoins qui savent de quoi ils parlent et dont Sadek Hadjerès aurait, sans doute, gagné, à connaître les propos. Par exemple : Un ancien du PCA, Abdelkader Guerroudj (document n° 14, page 461 in La 7e Wilaya d'Ali Haroun, éditions du Seuil, mai 1986). Sa lettre du 7 décembre 1959 adressée au « Frère responsable de la zone autonome d'Alger » : « Chers frères. A plusieurs reprises, malgré moi et sans que j'en sois informé, la presse communiste s'est permis d'utiliser mon nom, celui de ma femme, celui d'hommes placés sous mon contrôle ou d'amis tombés au champ d'honneur en tant que combattants du Front de libération nationale. En ma qualité de responsable des groupes armés à Alger jusqu'au mois de janvier 1957, il est de mon devoir aujourd'hui de confirmer notre démission organique et politique du Parti communiste algérien. Ceci, afin de mettre un terme à l'équivoque entretenue ou permise par le PCA. Je tiens à préciser que cette démission était un fait découlant naturellement des discussions qui ont amené, en juin 1956, la dissolution des ‘‘Combattants de la libération'' et leur intégration individuelle et volontaire au Front de libération nationale. C'est un devoir d'honnêteté qui m'a fait prendre librement la décision d'écrire ce qui précède, parce que toutes les remarques, puis les mises en garde que j'ai adressées depuis 1956 à la direction du PCA sont demeurées sans effet. (...) Depuis juin 1956, j'avais cessé de recevoir les directives du PCA. Je me suis soumis avec joie au seul contrôle du FLN. C'est du FLN que j'ai reçu directives, armes, aides financières, etc. Mes chefs m'ont accordé une confiance que malgré les pressions multiples et parfois intolérables, je n'ai jamais voulu trahir. (...) Je suis simplement un combattant algérien soumis au seul organisme qui dirige notre lutte libératrice et qui est seul habilité à parler en mon nom comme en celui de tous les ex- ‘‘combattants de la libération''. Je ne veux pas permettre aux hommes d'une politique qui a fait fausse route de se servir de notre nom (c'est moi qui souligne). (...) Si le PCA s'était décidé à faire en son temps, et comme les autres organisations nationales le geste nécessaire, à savoir la dissolution, il aurait non seulement donné une preuve de courage politique, mais il aurait également contribué à rendre plus complète l'unité du peuple algérien en lutte. (...) Accumulant les erreurs, afin de préserver les positions personnelles de quelques dirigeants incapables de reconnaître honnêtement et publiquement leurs fautes et leur manque de conviction nationale, le PCA s'est enfoncé dans l'égarement. Il a alors essayé de se défendre au moyen de considérations théoriques nébuleuses parfaitement inadaptées à la situation de notre mouvement national, de notre révolution algérienne. Ne s'étant pas dissous au profit de la révolution, le PCA aurait dû avoir le souci de respecter un engagement qu'il avait librement et formellement consenti en dissolvant son organisme militaire. Cela m'aurait évité de faire cette mise au point. Malheureusement, loin de lever l'équivoque, le PCA l'a au contraire entretenue et encouragée. En utilisant à des fins de propagande le nom de personnes mortes ou vivantes, les dirigeants du PCA ont manqué à une règle élémentaire de loyauté. Voilà, cher frère, ce qu'il était de mon devoir de dire. Avec mon salut FLN et patriotique. » D'autres, anciens du PCA, parmi lesquels Jean Farrugia ou le docteur Massebœuf s'associèrent entièrement à ce texte, sans parler du nombre de militants qui furent brisés par les errements du PCA ! Quelques précisions : ce n'est pas moi, mais le PCF qui a laissé supposer que le soulèvement du 1er Novembre 1954 a pu être organisé par des colonialistes (l'Humanité du 8 novembre 1954). De la part de Sadek Hadjerès, c'est une calomnie à mon endroit. Je déplore qu'il ne soit pas répondu aux faits que j'ai rapportés : 1) Le Parti communiste français a condamné le soulèvement armé algérien. 2) Il a voté les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet et, ainsi, permis à la France d'intensifier la guerre. 3) Il a désavoué déserteurs, insoumis et réseaux de soutien au FLN et exclu de ses rangs ceux qui y appartenaient. 4) Il s'est désolidarisé des jeunes « rappelés » qui refusaient d'aller faire la guerre aux Algériens en arrêtant les trains. Je n'ai jamais douté de la sensibilité nationale de militants du PCA (voir plus haut). Reste que l'orientation stratégique de leur parti n'était pas définie en Algérie même, mais d'abord déterminée par les orientations de l'URSS, dont nous connaissons, aujourd'hui, l'aboutissement. Je m'étonne que Hadjerès et Alleg ne voient pas que je n'ai fait que reproduire ce qui est établi par tous les historiens. Enfin, cette réflexion me vient : les partis communistes devraient cesser de se croire propriétaires du mot communisme.
Jacques Charby, comédien, a été membre du Réseau Jeanson, condamné à 10 ans de prison pour avoir porté aide et assistance au FLN pendant la guerre d'Algérie.


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