« A vous qui êtes appelés à nous juger », de Nordine Inoughi et Boualem Guéritli, l'un des documentaires en compétition dans la manifestation Panorama de l'audiovisuel qui se tient actuellement à l'OREF, ne passera probablement pas inaperçu. Il sera diffusé aujourd'hui à 11h30 à la filmathèque Mohamed Zinet. Son producteur nous en parle. En quoi « A vous qui êtes appelés à nous juger », est-il inédit et que raconte-t-il exactement ? Ce documentaire de 70 minutes est avant tout l'histoire de la déclaration du 1er Novembre 1954, de sa conception jusqu'à sa proclamation. Pour nous et les co-auteurs de ce documentaire, Noredine Inoughi, ancien journaliste à la Radio nationale et Boualem Gueritli, ancien réalisateur à l'ENTV, la genèse de la guerre de libération et la longue maturation politique qui a précédé le lancement de la Révolution, remontent à mai 1945 et les manifestations de Sétif, Guelma et Kherrata durement réprimées par l'occupant. C'est ce long processus que nous avons voulu raconter jusqu'à l'aboutissement final qui aura lieu dans un petit village perdu au fond de la Kabylie, Ighil Imoula, devenu le symbole de la guerre de libération. Le documentaire repose sur les témoignages des acteurs encore vivants de cette phase historique qui a précédé Novembre 1954. Est-ce un documentaire parmi tant d'autres sur cette période de l'histoire de l'Algérie ? A ma connaissance, les documentaires ayant traité de cette période précise de l'avant-guerre se comptent sur les doigts d'une seule main et encore je suis large. Ceux qui on vu ce documentaire pensent qu'il est important pour la lecture de notre histoire. Il n'a pas l'ambition d'écrire l'histoire, mais simplement d'apporter un éclairage supplémentaire. C'est en cela que ce projet a généré autour de lui beaucoup de passion. Pour la première fois, des témoins et des acteurs directs de cette période témoignent à cœur ouvert. Des personnalités qui représentent pratiquement tout le panel politico-idéologique de cette période et jusqu'à aujourd'hui, nous racontent leurs morceaux d'histoire qui, assemblés, nous révèlent une vérité extraordinaire : au-delà de leurs rivalités intestines, les nationalistes algériens n'ont pas cillé, le moment venu, devant l'évidence de se lancer à corps perdu dans la grande bataille de la libération du pays face, à l'époque, à la 3e plus grande puissance mondiale. Ils avaient 20 ans ! Des personnalités comme Hocine Aït Ahmed, Bachir Boumaza, Ali Zammoum – que Dieu ait son âme – ou encore Abdelhamid Mehri, n'ont pas hésité longtemps à témoigner devant les caméras. La crise berbériste trouve enfin dans ce documentaire le témoignage qu'elle mérite à travers notamment ceux de Sadek Hadjres, ancien dirigeant communiste algérien, ou encore Mohamed Harbi, éminent historien. Au-delà de son aspect historique, voire pédagogique, nous avons voulu produire un documentaire de grande qualité, un produit qui aurait sa place dans n'importe quel festival au monde. Il est d'ailleurs produit en deux langues, l'arabe et le français, en attendant sa version en tamazight dans quelques semaines. Comment avez-vous géré l'aspect financier de cette œuvre ? Vous savez, certaines productions, pas très anciennes, ont reçu un financement public record pour une qualité qui laisserait pantois des élèves en première année de formation au cinéma. Par certains aspects, la production algérienne a même touché le fond. On ne pourrait pas descendre plus bas. Pour nous, la production de ce documentaire a essentiellement consisté à puiser dans nos bas de laine. La participation publique a été extrêmement faible à notre grand dépit. Nous aurions voulu donner un cachet particulier à ce documentaire en réalisant des reconstitutions historiques sur le modèle de ce que fait couramment aujourd'hui une chaîne comme la BBC. Il nous a fallu déchanter très vite. La télévision algérienne a été aux abonnés absents durant les trois longues années où nous avons préparé ce documentaire. Sans aucune explication. Nous ne sommes pas les premiers à avoir subi ce genre d'attitude de la part de la seule institution audiovisuelle de ce pays, installée dans un monopole total suicidaire pour la production audiovisuelle algérienne. Nous ne serons pas les derniers, loin de là, tant que les choses ne changeront pas, qu'il n'y est pas une véritable ouverture audiovisuelle, une vraie concurrence télévisuelle, seul gage d'une véritable émulsion qualitative de la production cinématographique et télévisuelle en Algérie. En termes de télévision, nous en sommes encore à l'ère du seul lait Lahdha et de la seule voiture Zastava des années 1970 et 1980. Pourquoi ce titre ? Peu de gens le savent peut-être, surtout parmi les jeunes générations, mais « A vous qui êtes appelés à nous juger » est simplement la première phrase de la déclaration officielle de Novembre 1954. Elle voulait tout dire en quelques mots…