Après six jours d'auditions, les plaidoiries ont débuté dimanche 1e mai au procès de l'affaire des 28 quintaux de kif saisis à Tlemcen, qui se tient au tribunal de Sidi Bel Abbès. Dans une salle d'audience comble, c'est Me Fahim, avocat de l'ex-chef de la sûreté de la wilaya de Tlemcen, Senouci Mohamed, qui ouvre le bal. Il axera sa plaidoirie sur le résultat de l'expertise en écriture réalisée par le laboratoire de police d'Oran, requise lors de l'instruction du dossier par le juge de Remchi pour décrypter le fameux numéro de téléphone volontairement caviardé sur le registre des appels de la sûreté de daïra de Maghnia, quelques temps après la découverte de 275 kg de kif dans l'un des quartiers de cette ville frontalière. « Pourquoi les experts du laboratoire d'Oran n'ont pas fait de contre-expertises ? », s'interroge-t-il. Pour Me Fahim, les experts d'Oran ont, en plus de cela, travaillé sur un document scanné et non pas sur le registre original, utilisant pour ce faire des logiciels de traitement d'image, « ne permettant en aucun cas de déterminer le numéro de téléphone utilisé pour alerter la police de Maghnia et, par la suite, incriminer Senouci ». Il fera rappeler également que les listings des appels téléphoniques, établis à la demande du juge d'instruction, ne concernaient que Senouci, accréditant ainsi la thèse du complot contre ce dernier. « Le juge n'a pas joint au dossier de l'instruction des documents confidentiels plaidant en faveur de Senouci et, plus grave encore, refuser d'entendre, en tant que témoins, son chauffeur et le chef du protocole du wali de Tlemcen », relève Me Fahim. Me Brahim a mis l'accent, dans sa plaidoirie, sur le détournement pur et simple de la procédure d'instruction avec, pour finalité, « la mise à mort civil et juridique de Senouci ». Il s'est dit également convaincu que les accusations portées à l'encontre de Senouci relèvent du règlement de compte, précisant que « le dossier d'accusation a été fabriqué de toute pièces pour briser un haut cadre de la police dont le seul tort est d'avoir bousculé un ordre établi et menacé de gros intérêts en relation avec le trafic de stupéfiants». Il constate, à ce propos, que l'un des témoins-clés de cette affaire, en l'occurrence le chef du service de lutte contre les stupéfiants de Maghnia, M. Boumadani, n'a pas été entendu bien qu'il ait été souvent cité tout au long du procès. « Lorsqu'un policier déclare avoir été torturé par un cadre de la DGSN (Boumadani, ndlr) pour enfoncer Senouci et que personne ne trouve rien à redire, cela fait vraiment peur et nous amène à nous interroger sur la responsabilité du parquet face à ce genres de pratiques infamantes », interpelle Me Brahimi le président du tribunal. Concernant la perpétuité requise par l'avocat général à l'encontre Senouci, Me Brahimi a estimé qu'il « est incompréhensible et n'a pas de sens ». « C'est une contradiction majeure que de requérir la prison à vie à l'encontre du chef de la sûreté de Tlemcen et des officiers de Maghnia, et faire de même pour Boubekeur Boubker, présumé trafiquant de drogue». Pourtant, fait-il remarquer, Boubekeur a bénéficié d'un non-lieu définitif en première instance avant que des pourvois en cassation ne soient introduits devant le Cour suprême. « Sur le plan du droit, le traitement de ce dossier est entaché de plusieurs irrégularités graves. Face à cela, la cour suprême n'a pas eu le courage d'aller jusqu'au bout de cette affaire, préférant renvoyer le dossier devant la chambre d'accusation de la Cour de Sidi Bel Abbès », poursuit-il. Pour lui, il y'a forcément d'autres personnes qui tirent les ficelles de cette affaire et qui n'ont toujours pas été inquiétés. Et de conclure sa plaidoirie : « Vu de la manière avec laquelle a été traitée cette affaire, j'ai bien peur que l'informel économique ne soit en train de prendre en otage l'appareil judicaire.» Me Othmani, est revenu dans sa plaidoirie sur l'absence de Boumadani, convoqué en tant que témoin à ce procès. « Boumadani est-il un super-citoyen, son témoignage risquait-il de donner un autre cours à ce procès ? », se demande-t-il, avant de s'en prendre sévèrement au réquisitoire de l'avocat général. « En requérant la perpétuité contre Senouci, vous-avez clairement dit que vous supposiez qu'il était complice dans un trafic de drogue. Est-ce le fait de supposer, sans apporter la moindre preuve matérielle de sa culpabilité, vous donne le droit l'avocat général de requérir la perpétuité ? », lance-t-il au procureur de la République, Hadj Hani. Pour Me Othmani, le verdict de ce procès singulier constituera un tournant dans la lutte contre le trafic de drogue aux frontières algéro-marocaines. « Ou bien justice est rendue en acquittant ceux qui ont fait leur travail en luttant inlassablement contre le trafic de drogue, ou bien tout le monde est condamné et c'est la porte ouverte à tous les renoncements » , dira-t-il.