Tension et suspense hier au procès des neuf officiers de police, dont l'ex-divisionnaire de Tlemcen, impliqués dans une sombre affaire de trafic de drogue. A l'issue d'une bataille procédurale houleuse déclenchée par les robes noires, dès le lever du rideau de l'audience, le tribunal criminel de Sidi Bel- Abbès a finalement reporté l'affaire au 25 avril. Un contingent d'avocats - pas moins d'une quarantaine - est sur pied de guerre. Chacun affûte ses armes à sa façon dans la dernière ligne droite, avant le coup d'envoi du procès. Des «ténors» de la défense à l'image des maîtres Brahimi Miloud, Fahim Hadj Habib et le bâtonnier Othmani Mohamed, se montrent, eux, décontractés malgré la gravité des circonstances. Le retard est dû, en grande partie, au fait que les ex-officiers de police mis en cause, tous remis en liberté au cours de la procédure marathonienne, datant de l'année 2005, à l'exception de l'ancien patron de la police de Tlemcen, S. Mohamed, toujours incarcéré, ne se sont présentés devant l'établissement pénitentiaire conformément à la démarche de la contrainte à corps, que le jour même du procès. Une sonnette se fait entendre soudain et les juges font leur apparition. Tout le monde s'engouffre dans l'exigüe salle d'audience du criminel, dépourvue de box pour les accusés, d'un espace consacré aux jugés candidats à deux places par tirage au sort, au point où on a dû faire asseoir les 22 prévenus dans les premières rangées de l'espace réservé au public. Le greffier d'audience appelle les 134 témoins. Il n'en relève que 36 présents. On passe aux parties civiles. La douane y est représentée à deux niveaux : la circonscription de Maghnia et celle de Ghazaouet, où ont été opérées les saisies de kif, respectivement 275 et 2.540 kilos. Un avocat ouvre le bal des requêtes et demande le report au motif que son client (un prévenu) a un malaise fort handicapant. Ses collègues ainsi que le PG refusent à l'unisson. «Votre honneur, il y a 22 accusés. Si à chaque fois l'un d'eux se sentirait mal à l'aise, cette affaire ne sera jamais jugée», réplique un avocat «anti-report». Finalement, le tribunal décide l'ajournement, mais pas uniquement pour la raison évoquée par l'avocat du client. Parmi les propositions formulées par les parties, le tribunal retient notamment celle de Me Fahim, qui a réclamé la convocation des deux experts du Laboratoire régional de la police scientifique d'Oran ayant eu pour mission de décrypter le fameux appel téléphonique volontairement caviardé par un officier de police du commissariat de Maghnia, fait déclencheur de toute cette affaire. Statuant sur la demande de remise en liberté des sept officiers de police, dont l'ex-commissaire chef de sûreté de la daïra de Maghnia, le tribunal refuse. Ceux-ci seront maintenus en détention jusqu'au jour du procès, le 25. Dans cette affaire, il est cité à la tête des neuf officiers de police, soupçonnés d'accointances et de connivences avec un réseau transfrontalier de trafic de drogue, dirigé alors par un narcotrafiquant notoire N. El-Houari, qui était recherché par Interpol et qui purge actuellement une peine de 18 ans de prison pour une autre affaire de trafic de drogue. L'ex-divisionnaire de la wilaya de Tlemcen (2002-2005), S. Mohamed, 59 ans, est mis en examen pour «complicité de trafic de drogue par une organisation criminelle». Une autre charge pèse sur lui, l'article 180 du code pénal, il aurait «recelé une personne sachant qu'elle avait commis un crime ou qu'elle était recherchée en raison de ce fait par la justice ou sciemment soustrait ce criminel à l'arrestation ou aux recherches». A l'origine, S.M et ses collaborateurs (au nombre de huit étaient inculpés de «dissimulation de traces de crime et complicité», avant que la chambre d'accusation ne requalifie les faits reprochés au divisionnaire. S.M, qui clame toujours son innocence et crie au «complot ourdi» et au «règlement de comptes», accusant certains responsables locaux d'être derrière cela. L'affaire remonte au 19 novembre 2005, à 9h15, un officier du commissariat de la daïra de Maghnia reçoit un appel téléphonique faisant état de l'existence d'une voiture remplie de kif, près du domicile d'un certain B.B., connu sous le sobriquet de «Ould El-Anzi» (le cabri), situé au fin fond de Maghnia. Munis d'un mandat de perquisition, des policiers investissent les lieux. Dans une Renault 25 rouge, garée près de la maison de B.B. et non fermée à clé, ils trouvent 275 kg de kif dans le coffre. Sous le frein à main, un extrait de naissance et une copie de la carte d'identité de B.B. étaient posés à portée de vue. Ce dernier est arrêté. Ni la R 25, ni le kif qui était à l'intérieur ne lui appartiennent, selon lui. Il nie tout et crie au complot. Or, des indices convergents, dont des témoignages de voisins ayant vu, la veille, deux hommes planter le décor de la R 25 bourrée de kif, seront enregistrés à la décharge d'alias «Cabri», qui ne devra répondre finalement que de la détention illégale d'un fusil de chasse saisi chez-lui. De qui provenait l'appel ? L'officier qui reçoit le coup de fil mentionne sur le registre des appels un numéro commençant par 071 et le nom de B.F. (faux nom). Mais il biffe ensuite au stylo ces indications. Selon ses dires, il l'a fait sur ordre et sous la pression de ses supérieurs, après que ceux-ci eurent identifié le titulaire de cette ligne téléphonique mobile, H.N, un gros bonnet de la drogue. Pour l'accusation, il y a de forts soupçons que c'est ce dernier qui, depuis sa cellule de prison, a tramé le coup de la R 25 pour régler son compte à B.B. Cette piste est confortée par la découverte, le 24 décembre 2005, de 25,4 quintaux de kif dissimulés dans l'ossature métallique d'une remorque de camion parquée dans un parking à Ghazaouet, véhicule appartenant, selon les investigations, à H.N. L'un des huit compartiments du plateau où était caché le kif était rempli de terre - pour que ça ne sonne pas creux lors des contrôles de barrage -. Son volume coïncidait avec celui des 275 kilos de la R 25 rouge. Un échantillon de cette terre sera expertisé et comparé avec celle de la propriété familiale, une ferme à Maghnia, de H.N. L'expertise, récusée par la défense, met en évidence des «similitudes».