Le ton monte entre Islamabad et Washington. Le Pakistan a sévèrement critiqué, hier, l'opération américaine qui a abouti à la mort de Ben Laden. «Le Pakistan exprime sa vive préoccupation et ses réserves sur la manière dont le gouvernement américain a mené à bien cette opération sans information ni autorisation préalables du gouvernement pakistanais», selon un communiqué rendu public par le ministère des Affaires étrangères. Le ministère pakistanais des Affaires étrangères, tout en niant que les autorités civiles ou militaires du Pakistan aient été prévenues au préalable de l'opération, a exclu catégoriquement que les hélicoptères américains aient pu décoller de bases pakistanaises. Sur un ton de reproche, la diplomatie pakistanaise espère que de telles «actions unilatérales non autorisées» ne deviennent pas la règle, encore moins constituent «un précédent pour n'importe quel Etat, y compris les Etats-Unis». «Ces actions minent la coopération et représentent parfois aussi une menace pour la paix et la sécurité internationale», s'inquiète le ministère pakistanais des Affaires étrangères. Auparavant, le directeur de la CIA, Leon Panetta, avait soutenu que Washington n'a pas informé le Pakistan de l'opération car «il aurait pu alerter» le chef d'Al Qaîda de l'imminence de l'attaque. «Nous avons décidé qu'une collaboration avec les Pakistanais risquait de mettre en péril la mission : ils auraient pu alerter les cibles», a-t-il affirmé dans un entretien au magazine américain Time. Evoquant des «preuves indirectes», M. Panetta a encore expliqué que la présence de Ben Laden dans cette résidence cossue située à Abbottabad, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale pakistanaise, «n'était pas totalement avérée». D'après lui, en dépit de tous les renseignements qui ont permis de remonter jusqu'à cet immeuble, les satellites américains n'avaient pas réussi à identifier Ben Laden, encore moins les membres de sa famille. Déjà au lendemain de la mort du chef d'Al Qaîda, le Pakistan, pourtant allié déclaré de Washington dans la lutte antiterroriste, a fait l'objet de suspicions et autres accusations. Celles-ci sont soutenues par le fait que Ben Laden a été localisé, après des mois de traque, à Abbottabad, une ville de garnison abritant de surcroît une des plus célèbres académies militaires pakistanaises. Principal conseiller antiterroriste du président Barack Obama, John Brennan a jugé qu'«il est inconcevable que Ben Laden n'ait pas bénéficié d'un système de soutien dans le pays qui lui a permis de rester là pendant longtemps.» La même suspicion est entretenue par la France : «La position du Pakistan manque de clarté», a estimé, pour sa part, Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères. Devant recevoir dans la soirée d'hier à Paris le Premier ministre pakistanais, Yousuf Raza Gilani, le chef de la diplomatie française a indiqué avoir «un peu de mal à imaginer que la présence d'une personne comme Ben Laden (...) ait pu passer complètement inaperçue». Au Pakistan, une partie des services secrets (ISI) est soupçonnée de connivence avec les talibans, alliés d'Al Qaîda. Le président pakistanais, Asif Ali Zardari, avait répondu au flot de critiques en mettant l'accent sur le fait que le Pakistan «avait pris sa part» de travail dans la traque du chef d'Al Qaîda. «Bien que les événements de dimanche n'aient pas été le fruit d'une opération conjointe, une décennie de coopération et de partenariat entre les Etats-Unis et le Pakistan ont mené à l'élimination d'Oussama Ben Laden», a répliqué le président pakistanais dans une tribune publiée par le Washington Post.