Au rythme des halqas, aux charmeurs de serpents et aux gnawa de la place Jamaâ El Fna, à Marrakech, s'ajoute une nouvelle attraction : l'attentat dont l'un des cafés mythiques a été la cible. Chaque jour, des processions humaines viennent déposer des gerbes de fleurs dans ce lieu tristement célèbre. Marrakech (Maroc). De notre envoyée spéciale Des rassemblements sont organisés chaque jour devant le café Argana pour dire non à la violence et à la terreur. Partis politiques, artistes, professionnels du tourisme, officiels, tour à tour, les différentes composantes de la société marocaine tiennent à manifester leur solidarité avec cette place mythique qui fait la renommée du tourisme marocain. Chacun y va de son style et de sa signature pour dénoncer cet acte qui a voulu, de l'avis de tous, tuer ce joyau touristique. Après la marche blanche au lendemain de l'attentat et le ton solennel emprunté par les formations politiques et les professionnels du tourisme, hier, des jeunes ont lancé sur facebook un appel à 5000 personnes pour boire un jus d'orange sur la place Jamaa El Fna. Demain encore, ce sera au tour des animateurs du Mouvement du 20 février qui ont appelé non pas à un rassemblement devant le café Argana, mais à une marche dont le slogan sera «Le peuple tient au changement et dit non à la violence». Ce Mouvement refuse que les efforts consentis depuis plusieurs mois pour imposer le changement soient sacrifiés sur l'autel de la raison sécuritaire et de la violence. Une crainte qu'ils avaient exprimée au lendemain de l'attentat. Les Marocains ont eu peur que l'attentat marque un recul sur les engagements pris par le roi Mohammed VI en faveur de plus d'ouverture. La revendication majeure pour une monarchie constitutionnelle semble un bien précieux objectif que les Marocains ne veulent pas voir partir en fumée ou voir passer juste comme une hirondelle de printemps. L'attentat du café Argana a donc été un test pour cette marche vers le changement, qui a seulement ajouté à son slogan contre la dictature un autre contre le terrorisme. Discrète présence policière Le café Argana est aujourd'hui entouré de barrières métalliques sur lesquelles un grand voile viendra couvrir l'image sinistre laissée par la bombe. La présence policière n'est pas très visible même si, nous dit-on, les mesures sécuritaires ont été renforcées. «Marrakech a toujours été une ville ouverte et nous ne voulons pas qu'elle perde ce cachet», disent les professionnels du tourisme. Seuls quelques policiers en uniforme surveillent le café Argana ; la police touristique, qui est en civil, se charge de rôder dans les artères de Jamaa El Fna. Tout est fait pour que les touristes, qui sont toujours présents en nombre, ne ressentent pas le poids d'une présence policière accrue. Dans la ville aussi, aucun barrage policier n'est à signaler. Seuls des contrôles sont effectués à l'entrée de certains grands hôtels. «Vous voyez, ces barrières-là n'existaient pas avant et encore moins le scanner à l'entrée de l'hôtel Sofitel», nous dit le responsable des relations publiques du Conseil régional du tourisme en notant que l'âme de Marrakech est dans son ouverture. Une ouverture qu'elle veut garder et continuer à vendre à ses nombreux visiteurs venus des quatre coins du monde. A côté de l'Argana, les commerçants voisins, qui font leurs traditionnels appels aux touristes, ne cachent pas avoir vécu des moments douloureux le 28 avril dernier. «Deux jours durant, un bourdonnement m'est resté dans l'oreille du fait de la déflagration», nous dit un marchand de fruits installé juste en face du café Argana. «Je connaissais bien le serveur qui est décédé», ajoute-t-il. Un marchand de produits d'artisanat note pour sa part avoir vu une Volkswagen déposer l'auteur de l'attentat. Il raconte que ce jour-là semblait le même que les précédents jusqu'à ce que l'explosion ait lieu. «L'explosion a fait voler en éclats les vitres de mon magasin, ma marchandise n'a pas été épargnée. Mais je me dis que je suis mieux loti que ceux qui étaient à l'intérieur», affirme ce jeune commerçant qui note, soulagé, que le nombre de touristes n'a pas beaucoup baissé. En effet, les cafés de la place sont bondés d'étrangers ainsi que les artères de la ville. On y entend différentes langues. «Pourquoi aurais-je peur ? Cela peut arriver n'importe où», nous dit un touriste français arrivé à Marrakech deux jours après l'attentat. Un vacancier allemand assure aussi qu'il n'y a pas lieu de quitter la ville «puisque c'est arrivé». «C'est triste ce qui s'est passé, mais il ne s'agit que d'un seul incident alors y a pas lieu de s'alarmer», estime pour sa part un estivant anglais. Il faut dire que les craintes exprimées au lendemain de l'attentat sur une baisse drastique de la fréquentation touristique du Maroc ont petit à petit disparu. «Il y a eu quelques annulations, mais nos craintes ont heureusement dépassé la réalité. Nous avons reçu beaucoup de marques de soutien de nos partenaires», indique Abdelattif Abouricha, chargé de la communication au CRT. Le ministre du Tourisme a dit, dans une récente déclaration à la presse, que le secteur s'attend même à une croissance pour cette année 2011, malgré l'attentat de Marrakech et les troubles que connaît le monde arabe. S'attaquer au tourisme au Maroc, c'est toucher à la première source de devises de ce pays et aux emplois de près de 500 000 personnes. Ce qui fait dire à ce ministre que «la résistance du secteur sera mise à l'épreuve cette année», osant toutefois une note d'optimisme : «Une croissance de 8% cette année est toujours possible.» En termes d'annulation, le ministre du Tourisme a parlé de 15 000 vacanciers ayant résilié leur séjour, soit 3% du total des arrivées. A noter que sur 9 millions d'arrivées, Marrakech accueille 35% de touristes avec en première position les Français. Plus de 6% des Marrakechis vivent du tourisme.