Les Irakiens se rendent une nouvelle fois aujourd'hui aux urnes pour élire, cette fois, leurs représentants dans le tout nouveau Parlement, issu lui aussi de la nouvelle Constitution adoptée l'été dernier. Les électeurs doivent choisir 275 députés parmi 7655 candidats au milieu de strictes mesures de sécurité et de soupçons de fraude. Un vote sous occupation et dans la violence, et surtout des prévisions fondamentalement pessimistes quant à la poursuite de cette situation, comme le prouve au moins le maintien des troupes étrangères. Plus que cela, des efforts sont déployés par la Ligue arabe aidée en cela par de nombreuses franges de la classe politique irakienne, afin de préserver l'Irak d'un danger, celui de l'éclatement. Même le président américain évoque cette hypothèse, même si c'est pour dire qu'il ne l'a jamais envisagée. George W. Bush a déclaré effectivement n'avoir jamais envisagé une partition de l'Irak, qui serait un « désastre ». M. Bush a dit ne jamais avoir pensé à une partition de l'Irak en trois Etats distincts pour trois grandes communautés, chiite, kurde et sunnite. « Je sais qu'il (l'Irak) sera uni, reposant sur des sortes de principes universels (...) la liberté de culte, l'Etat de droit, la propriété privée, le marché, tous liés à une Constitution que les Irakiens ont approuvée, et que les Irakiens vont améliorer », a-t-il dit. « Non, ce serait un désastre (...) s'il y avait trois nations séparées », a-t-il dit, en réponse à une question sur le sujet. Mais il se trouve que des Irakiens, au fait de la réalité de leur pays, croient au contraire à ce danger, et il est alors évident que les élections d'aujourd'hui ne régleront absolument rien. Elles peuvent bien au contraire accélérer un tel processus en raison des ambitions de pouvoir comme l'ont prouvé les différentes élections organisées depuis janvier dernier. Celles d'aujourd'hui sont considérées comme le couronnement du processus politique lancé depuis l'occupation de l'Irak en mars 2003, pour doter le pays d'institutions permanentes et lui permettre de voler de ses propres ailes. Cette élection pourra également remodeler le paysage politique en brisant l'alliance entre les chiites religieux et les Kurdes, qui a permis de former le gouvernement du Premier ministre Ibrahim Jaâfari. En dépit des violences continues et des querelles politiques, l'Irak a respecté le calendrier de transition politique. Il a commencé avec un Conseil de gouvernement formé par les puissances occupantes. Sous le regard vigilant et attentif de ces dernières, celui-ci a élaboré une Constitution provisoire, appelée loi fondamentale, qui a permis de mettre en place un gouvernement provisoire, dirigé par le chiite laïc Iyad Allaoui. C'est sur la base de cette loi que le gouvernement Allaoui a organisé les élections générales du 30 janvier et passé la main en avril à celui, encore transitoire, du chiite religieux Ibrahim Jaâfari, sous lequel le Parlement a élaboré une Constitution permanente. Le pays va se doter aujourd'hui d'un Parlement permanent et la durée de vie du gouvernement sera de quatre ans, celle de la législature. Sauf objection de la communauté sunnite qui se prévaut d'un arrangement lui permettant de renégocier certains points de cette loi. Une participation massive au sein de la communauté sunnite, qui avait boycotté les élections générales de janvier 2005, semble se préciser : plus de 1000 religieux sunnites ont ainsi souligné mardi soir la « nécessité de voter ». Les sunnites espèrent obtenir assez de sièges au Parlement pour pouvoir amender la Constitution, adoptée le 15 octobre contre leur volonté. Ils estiment que ce texte, en reconnaissant le fédéralisme, va diviser le pays. Pendant ces élections, de nombreux partis, coalitions et candidats individuels affrontent le verdict des urnes, mais les principales forces sont l'alliance chiite religieuse, celle kurde en plus de l'alliance multifonctionnelle et laïque formée autour de M. Allaoui, en plus de deux listes animées par des Arabes sunnites. Une source occidentale à Baghdad, qui observe attentivement le processus politique, indique avoir des échos sur une « insatisfaction » des Kurdes de leur alliance avec les chiites religieux. Elle estime que la liste chiite religieuse, qui n'a pas obtenu cette fois le soutien officiel du prestigieux chef religieux de cette communauté, le grand ayatollah Ali Sistani, aurait moins de sièges dans la future assemblée. Cette source voit cette liste remporter de 80 à 100 sièges contre 140 en janvier dans le Parlement de 275 membres, ce qui ouvre la voie à d'autres schémas de recomposition du paysage politique. M. Allaoui, frustré de ses 40 sièges remportés lors du scrutin de janvier, mène une campagne active avec l'intention de ratisser large, sa liste comptant des sunnites modérés et des communistes. Rien n'interdit en théorie une alliance entre sa liste et celle des Kurdes, mais l'ancien Premier ministre aura besoin du concours de nombreuses autres listes, car il ne pourra former le gouvernement qu'en contrôlant les deux tiers du Parlement, soit 184 sièges. D'où les inquiétudes occidentales d'une possible crise politique après les élections, le pays connaissant un foisonnement sans précédent de partis et de mouvements politiques. Au total 228 « entités politiques » et 21 alliances se présentent à ces législatives, selon la Commission électorale indépendante. Mais avant même le début des opérations électorales pour l'ensemble de 15,5 millions d'électeurs irakiens, des accusations de fraude électorale ont été portées. Le Front irakien de la concorde, l'une des deux principales listes sunnites, qui regroupe notamment le Parti islamique, la Conférence du peuple d'Irak et le Conseil du dialogue national, a affirmé disposer d'« informations sur des fraudes ». « Des parties ont reçu des sommes d'argent pour manipuler les résultats », a affirmé le Front dans un communiqué, sans plus de précisions. Mardi soir, des centaines de milliers de bulletins de vote vierges pouvant servir pour les législatives ont été saisis à bord d'un camion-citerne en provenance d'Iran, selon des sources de sécurité irakiennes. Lundi, la Commission électorale avait déjà écarté plusieurs milliers d'Irakiens des listes électorales à Kirkouk (nord), après avoir découvert des fraudes dans leur enregistrement, malgré les critiques de responsables politiques kurdes. Il devient alors évident que c'est là une élection à risque, avec l'exacerbation du sentiment communautaire, et toujours cet air de revanche sur l'histoire.