Les avertissements lancés au gouvernement par le président de la République il y a à peine une année sur la nécessité de rationaliser la dépense publique auront été vains. La nouvelle loi de finances complémentaire (LFC) pour 2011 adoptée mardi dernier en Conseil des ministres montre bien que les ambitions de rationalisation n'ont pas fait le poids devant la conjoncture sociale critique que connaît le pays depuis le début de cette année.Il faut rappeler que la LFC 2010 avait prévu des dépenses budgétaires de l'ordre de 6468 milliards de dinars avec un déficit prévisionnel du Trésor de l'ordre de 3615 milliards du fait d'une rallonge de 608 milliards dinars au titre de l'augmentation des salaires des fonctionnaires. Devant ces chiffres faramineux, le chef de l'Etat ne pouvait rester insensible. Il avait d'ailleurs noté, en présidant un Conseil des ministres en août 2010, «le niveau très important atteint par la dépense publique et conséquemment par le déficit du Trésor». Il avait insisté auprès du gouvernement pour éliminer «toute dépense superflue». Précisant que le budget de fonctionnement, qui aura à faire face l'année prochaine (2011) à une dépense encore lourde liée au nouveau régime indemnitaire des fonctionnaires, «ne devra connaître aucune autre augmentation». La mise en garde n'aura pas été suivie puisque la dépense publique pour l'exercice 2011 dépassera les 8200 milliards, selon la LFC 2011, soit en hausse de 25% par rapport à la loi de finances de la même année. Cette dernière avait prévu un rythme de dépense publique similaire à celui de l'exercice 2010, alors que les recettes attendues n'étaient pas revues à la hausse, même avec le raffermissement des cours du pétrole qui permet au gouvernement d'espérer des rentrées en devises plus conséquentes que l'année dernière. Le déficit public qui devait atteindre les 3600 milliards de dinars, selon la loi de finances 2011, sera donc forcément revu à la hausse suite à la LFC. Le gouvernement avait déjà prévu que ce déficit serait couvert par le fonds de régulation des recettes. A contre -sens Selon certains économistes «la nécessité d'une dépense est liée à l'objectif du développement qui nécessite un gros effort». Ce qui était vrai tant au cours des dernières années, l'Etat a consenti de gros investissements en matière d'infrastructures. Mais pour l'année 2011, c'est davantage la conjoncture sociale difficile marquée par les émeutes du début janvier et le front social toujours en ébullition qui ont contraint le gouvernement à ces dépenses supplémentaires. Les mesures destinées à l'encouragement de l'emploi et de l'investissement en faveur des jeunes, à améliorer le pouvoir d'achat des ménages et à encourager l'investissement ont amené le gouvernement à prévoir une rallonge de 1657 milliards de dinars entre la loi de finances et la LFC de cette année dont plus de la moitié destinée à la prise en charge des décisions liées à la politique publique de logement. Par ailleurs, 40% de la dépense supplémentaire iront à la couverture des augmentations des salaires des fonctionnaires et aux subventions des produits de première nécessité. «Tout cela est trop pour un budget», estime Nasser Bouyahiaoui, expert économiste, consultant international. «A travers le monde, on est en train de parler de plan de rigueur et de comment réduire les dépenses qui ne sont pas nécessaires, dans des pays où on a dépensé beaucoup», explique-t-il. Seulement, en Algérie «nous n'avons pas appris des leçons des autres pays et on est en train de dupliquer leurs erreurs». Controverse sur la hausse des salaires Des spécialistes des questions économiques considèrent que ce qui importe en matière de dépense publique, ce n'est pas tant l'ampleur de l'investissement public que «l'efficacité de cette dépense et l'évaluation de ses effets sur les autres secteurs et sur le développement de l'économie». Or, l'on sait qu'en Algérie, les augmentations de salaires n'ont pas une contrepartie en matière de productivité économique et pour M. Bouyahiaoui, «beaucoup de ces augmentations ne sont pas justifiées». Ce n'est pas l'avis de Rachid Malaoui, président du syndicat national autonome du personnel de l'administration public (SNAPAP) qui affirme qu'il ne s'agit pas d'augmentations de salaire, mais d'un «retard qui est en train d'être rattrapé pour les fonctionnaires qui n'ont pas encore perçu leur indemnités dans le cadre du nouveau régime indemnitaire de la Fonction publique». Et d'ailleurs, ajoute-t-il, «même avec ces nouveaux salaires, les fins de mois sont difficiles à cause de l'inflation». Selon lui, «30% des fonctionnaires touchent des salaires nets de 11 000 à 12 000 DA, alors que la moyenne des salaires dans la Fonction publique est de 30 000 DA. Ce n'est pas suffisamment pour vivre décemment». Et si la hausse des salaires n'a pas une contrepartie productive, M. Malaoui estime que «ce n'est pas le problème des fonctionnaires, mais celui du gouvernement qui a la charge de la gestion du secteur économique». Mais pour le professeur Bouyahiaoui, «augmenter les salaires pour augmenter le pouvoir d'achat est une erreur, qu'on subventionne ou pas, car l'économie n'est pas productive et avec la population qui augmente chaque année de 800 000 habitants, ça ne changera rien». Le fardeau de la dette publique En outre, il est nécessaire de se demander quel sera le niveau des recettes pour faire face à cette augmentation de la dépense. «Déjà en 2010, il y avait un déficit budgétaire qui va s'aggraver avec l'augmentation des dépenses à la faveur de la LFC. Conséquence : la dette de l'Etat augmente. Mais qui va payer le prix plus tard ?», s'interroge l'expert. L'année dernière, le président de la République faisait remarquer que «le budget de fonctionnement a atteint des seuils insoutenables». Il a insisté pour que «cette situation soit transitoire», estimant que «c'est à ce prix que nous poursuivrons le développement du pays, sans léguer aux générations futures une dette publique très lourde». Quand on sait qu'au cours des sept dernières années, la dépense publique a carrément quadruplé, le moins qu'on puisse dire est qu'entre les discours et les faits, c'est le grand écart. Pour M. Bouyahiaoui, l'argent «aurait pu être mieux dépensé, en investissant par exemple dans des secteurs créateurs de richesses. Or, pour le moment, cette manne n'est pas orientée vers la rationalité ni la compétitivité. On est en train de dépenser de l'argent qui provient de ressources rares non renouvelables», conclut-il.