S'il y a une autre nation au monde, outre les USA, à avoir accueilli avec jubilation l'élimination de Ben Laden par la CIA, c'est bien l'Inde. Que le fondateur d'Al Qaîda ait été localisé et tué au Pakistan est venu renforcer les arguments des frères ennemis d'Islamabad. Inde. De notre correspondante La presse indienne, très virulente lorsqu'il s'agit de commenter les événements qui se déroulent dans le pays voisin, n'a pas caché sa joie devant l'opération militaire américaine qui a décapité Al Qaîda mais qui a humilié les autorités pakistanaises et enflammé l'opinion publique de ce pays, seule puissance nucléaire musulmane. Les médias s'en sont donné à cœur joie en racontant l'épisode, laissant libre cours à leur fiel en titrant leurs commentaires. Le très sérieux hebdomadaire politique India Today a publié en couverture une photo de Pakistanais manifestant à Quetta contre le traitement réservé à la dépouille de Ben Laden, avec ce titre fort et provocateur : «Terroristan». C'est ainsi que certains nationalistes hindous ont baptisé le Pakistan, considéré par eux comme un «sanctuaire du terrorisme». Dans un éditorial au vitriol, le magazine fustige l'alliance stratégique américo-pakistanaise sous le titre sarcastique : «Avec des amis comme ceux-là…». India Today va jusqu'à inviter Obama à «choisir ses amis avec le même soin qu'il a mis à choisir ses ennemis». L'autre hebdomadaire, Outlook, consacre lui aussi sa couverture à l'évènement et publie un portrait de Ben Laden, avec en titre : «Pourquoi les services secrets Pakistanis mentent-ils à propos de leur rôle dans la chasse ?» et encore : «L'Inde et le monde peuvent-ils croire encore au Pakistan ?» Il faut dire que dès l'annonce de l'exécution de Ben Laden par le commando de Navy Seals, les autorités indiennes ont remis sur le tapis ce qu'ils considèrent comme l'implication des services secrets pakistanais dans les attentats de Bombay en 2008 et réclamé que «les commanditaires de ces attaques soient arrêtes et traduits en justice au Pakistan». Des représentants de l'armée indienne ont affirmé, sans doute sous le coup de l'émotion, que leurs forces pouvaient également lancer des opérations antiterrorisme au Pakistan. Le gouvernement d'Islamabad, par la voix de son ministre délégué aux Affaires étrangères, Salman Bashir, a rapidement réagi à ces déclarations et qualifié de «mésaventure» un geste similaire, promettant une «terrible catastrophe» aux deux pays s'il venait à être accompli. Les frères ennemis se sont déjà affrontés dans trois guerres depuis la partition des Indes (ancien territoire colonial britannique) à l'indépendance jusqu'en 1947. Heureusement, la sagesse des dirigeants des deux pays a fait baisser le ton des polémiques et les Pakistanais ont rappelé que leur pays «a payé un lourd tribut au terrorisme, plus que l'Inde ou les USA». De plus, l'Inde n'est pas l'Amérique et les responsables de Delhi restent conscients de la dépendance économique et géographique qui lie les deux pays. L'hiver dernier, le gouvernement de Manmohan Singh a failli vaciller lorsque le Pakistan a imposé un blocus de ses exportations d'oignons vers l'Inde. Des millions de consommateurs indiens sont descendus dans la rue et la paix civile n'a été rétablie que lorsque le frère ennemi a consenti à inonder de nouveau les marchés indiens de tonnes de ce bulbe très précieux pour la cuisine à base de curry.