Oran-Maghnia via Témouchent est le dernier trajet dans leur longue et clandestine traversée d'Algérie avant qu'ils ne s'engouffrent en territoire marocain contre 500 dirhams ou 50 euros par personne à débourser aux passeurs. Cependant, dans ce pays, pas question pour eux de s'éterniser ni de chercher du travail comme en Algérie où l'informel permet de gagner quelque argent pour le voyage. Au pays du Makhzen, il faut plutôt foncer directement sur Tanger avec au moins 1000 euros, le tarif appliqué par d'autres passeurs pour les débarquer à Tenerife sur la côte espagnole. Mais, parfois, pour certains de ces voyageurs vers l'eldorado européen, l'aventure cesse sur le dernier trajet en Algérie, tout bêtement à un barrage de police ou de gendarmerie sur la RN2 ou la RN35 qui la prolonge. Voyageant exclusivement de nuit sur ce tronçon long de 150 km, d'autres se font traîtreusement débarquer à mi-chemin, pas loin de la localité Emir Abdelkader, par des taxis ou des transporteurs clandestins qui leur auront fait croire qu'ils sont arrivés à Maghnia. Dans l'affaire, ils auront été délestés chacun de 3000 à 4000 DA, alors que le tarif normal est dix fois moins cher. Les gendarmes, avisés de leur présence, n'ont alors qu'à venir les arrêter. Au total, depuis le début de l'année, ce sont 335 Africains de treize nationalités différentes qui se sont fait prendre aux barrages. Parmi eux, il y avait 29 femmes. Comment échouent-ils là ? C'est ce que nous ont dévoilé le commandement du Groupement de gendarmerie et la Sûreté de wilaya de Témouchent sur la base de l'exploitation approfondie des déclarations des personnes arrêtées. Les deux services de sécurité nous indiqueront auparavant que le phénomène a pris de nouvelles proportions. A cet égard, un officier de la Gendarmerie nationale, rencontré pour avoir réalisé un travail d'investigation sur la question, met en corrélation l'augmentation des arrestations opérées par la Gendarmerie à travers le pays et l'ampleur que l'immigration clandestine connaît. Ainsi, note-t-il, si durant les années 1990 le nombre des arrestations opérées par la Gendarmerie ne dépassait pas le millier de clandestins, et hormis le pic observé en 1999 du fait du conflit Azawad qui avait jeté momentanément des populations de réfugiés en territoire algérien, lors des années suivantes, il doubla, puis quadrupla. Aussi, de 2806 individus arrêtés en 2000, on passa à 4273 en 2001, puis 4118 en 2002 et à 4870 en 2003. Le rétablissement de la situation sécuritaire y est-il pour quelque chose ? Sûrement, répond-on, mais il y a surtout le fait que des réseaux se sont structurés pour prendre en charge les immigrants et d'en tirer profit. De sorte, et selon les informations recueillies, il existe par-delà la frontière sud, deux réseaux de passeurs qui activent. L'un est basé à Assamaka, au Niger, qui assure la traversée jusqu'à In Guezzam à bord de 4 x 4. L'autre est installé du côté de Bamako avec, à sa tête, un certain Mamadou qui fournit de faux ou de vrais-faux passeports et faux visas algériens contre 3500 F CFA ou 2500 F CFA s'il s'agit seulement du visa et du compostage du passeport. De Bamako, les immigrants sont acheminés vers Bordj Badji Mokhtar et, de là, vers Adrar. De cette dernière et de In Guezzam, les réseaux qui les accueillent les orientent en plusieurs étapes, successivement vers Ouargla, puis Ghardaïa, les uns étant ensuite dirigés d'abord sur Alger puis vers Oran, et les autres directement sur Oran. Les haltes se font dans les grandes villes du pays, là où il est plus facile de ne pas trop se faire remarquer. Le voyage peut durer quinze jours ou une année, selon qu'on dispose de l'argent nécessaire ou pas. De In Guezzam à Ouargla, le trajet dure quatre jours pour 4000 DA en voiture, ou alors des semaines si l'on est contraint de le faire à pied et en autostop. De Ouargla à Ghardaïa, pourtant distante seulement de 200 km, le transport revient à 3000 DA la personne et dure deux à trois jours. Parce qu'il faut passer inaperçu, ce qui est difficile en pleine hamada sur une route nationale. Alors, les passeurs attendent que les barrages soient levés ; sinon, on emprunte des chemins détournés ou carrément d'autres itinéraires et on habille ces passagers clandestins en costume algérien traditionnel (gandoura, chech, etc.) pour se fondre dans le paysage. Les réseaux qui activent sont constitués également d'Africains qui ont déjà fait le transit et connaissent donc le pays. Les étapes dans les grandes métropoles permettent de trouver du travail, au noir bien entendu, donc sous-payé et parfois pas payé du tout par des employeurs sans scrupules. Les emplois sont offerts dans le secteur du bâtiment surtout. Ainsi, du côté d'Adrar, c'est généralement un peu rétribué grâce au labeur offert dans les palmeraies. Mais la détresse pousse les immigrants à accepter n'importe quel travail. Ainsi, près de Laghouat, des routiers ont remarqué un étonnant manège d'immigrants qui disposaient à leur passage des canettes en fer-blanc (de Pepsi ou de toute autre boisson). Après le passage des camions les boîtes étaient aplaties. Cela permettait à leurs collecteurs d'en diminuer le volume pour une livraison moins problématique. Enfin, les statistiques de la Gendarmerie nationale relèvent qu'en 2003, dans un classement par ordre de grandeur, sur 28 nationalités, la troisième est la marocaine. Ainsi, sur les 4870 personnes arrêtées, 275 étaient marocaines. Ce sont généralement des ouvriers spécialisés dans le bâtiment qui, eux, viennent travailler en Algérie.