Mardi soir, la troupe égyptienne Al Bayt el feni li masrah a remplacé le Théâtre régional de Guelma par la présentation de la pièce El Brova al akhira (La dernière répétition). Mise en scène par Sameh Mahrane, cette pièce était programmée dans la section «off» du sixième Festival national du théâtre professionnel (FNTP) qui se tient, jusqu'au 7 juin, au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi à Alger. Le théâtre de Guelma n'a pas eu le temps de préparer la pièce Alaâqd (Le contrat) de Ahmed Laggoun. La pièce était pourtant retenue dans la sélection officielle du FNTP. «Il y a eu des problèmes internes», nous a confié Brahim Noual du comité d'organisation du FNTP. Il a promis des mesures plus strictes dès l'année prochaine pour amener les participants à respecter leurs engagements. Cela passe par un amendement du règlement intérieur du festival. Les comédiens de la troupe Al Bayt El Feni ont dès le départ annoncé la couleur : la pièce inspirée de la tragédie King Lear du dramaturge anglais William Shakespeare. Sameh Mahrane a pris des libertés avec le texte tout en gardant l'idée fondamentale de la désobéissance des enfants. On retrouve Goneril, Régane et Cordélia, les trois filles du roi Lear, sexy, provocatrices, manipulatrices et perfides. Peut-être plus qu'à l'origine. Ici, Goneril et Régane sont des femmes d'affaires, l'une élève les poules, l'autre a une usine de céramique. Cordélia, la plus aimée du roi décadent, tente de sauver ce qu'elle peut de l'amour. Et il y a les autres personnages. Le metteur en scène, qui dirige la pièce de théâtre, l'amant hédonique de Cordélia, le valet, qui ressemble à un soldat ou à un «fou du roi», et le représentant du syndicat des artistes. Celui-ci joue au censeur. Et tout de suite, grâce à un jeu de scène vivace, on saisit le souci des comédiens de rendre hommage à la révolution en marche en Egypte, celle qui a fait partir la dictature de Hosni Moubarak et de sa famille. Le mot « thawra» (révolution) est d'ailleurs à plusieurs fois prononcé. Même le «dar dar, zenga zenga» du colonel El Gueddafi est cité, suscitant l'applaudissement du public (avec cette phrase, l'assassin de Tripoli a promis de massacrer ses opposants). Dans la pièce, adaptée à l'évolution des événements politiques, le roi Lear ne porte plus une tunique verte, comme à l'origine, mais un habit en noir, rouge et blanc, les couleurs de l'Egypte. Le comédien, qui joue le rôle du roi Lear, ne cesse de monter du trône, parfois en tant que «souverain», l'autre en tant que comédien (la doublure est un art perfectionné par les régimes totalitaires). Il en redescend parfois à pied, parfois usant de ses bras. Quelque soit la «puissance» d'un tyran, il finira toujours par être chassé du pouvoir, à pied, sur la tête ou à plat ventre ! Les comédiens ont plu au public en reprenant des expressions algériennes du genre «papicha», «zela»…Sameh Mahrane, qui est directeur de l'Académie des arts en Egypte, et son groupe ont prouvé que tout est possible dans le théâtre. Il suffit d'avoir la bonne idée.