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Hommage à Didar Fawzy-Rossano
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Publié dans El Watan le 11 - 06 - 2011

Une grande dame, combattante infatigable pour la libération des peuples opprimés nous a quittés brutalement dans l'après-midi de ce jeudi 26 mai 2011, à Genève. Elle avait 90 ans. Il s'agit de toi, Didar Fawzy-Rossano, ma sœur et compagne de combat, ma «camarade», comme tu l'écris dans la dédicace de tes mémoires. Ton long et si riche cheminement ne peut être qu'esquissé en ces lignes.
Sommes-nous devenus amnésiques ? La disparition d'une telle personnalité de l'histoire récente de notre pays, de notoriété mondiale, mérite un hommage officiel de notre presse et des hauts responsables de l'Algérie, qui l'ont personnellement connue. Dès l'âge de 18 ans et jusqu'à sa mort, elle s'est engagée aux côtés des militants antifascistes et anticolonialistes, contre les dictatures et au service de la paix entre des peuples libérés. Juive égyptienne, issue d'une famille aisée du Caire, d'origine italienne, elle a été communiste jusqu'à sa mort et de tous les combats pour une humanité émancipée, en commençant par «La révolution des officiers libres» contre le roi Farouk. Pas seulement combattante, ses travaux universitaires sur le Soudan font référence. Elle a tissé des liens avec les Africains du Sud sous apartheid et les Palestiniens, profondément attachée à une solution durable de paix israélo-palestino-arabe hélas encore utopique.
Dans les années 1950-1960 du siècle passé, sa place était aux côtés du peuple algérien en guerre. Elle a été un des piliers du réseau Curiel, dont on ne dira jamais assez combien il a soutenu notre combat. Citons les missions de soutien «ordinaires» telles que le transport sécurisé des responsables de la Fédération de France du FLN, la fourniture de «planques», l'aide à la confection de faux papiers, les passages de frontières pour les responsables et les militants recherchés, parfois condamnés à mort... Citons l'organisation de contacts fructueux avec des leaders des mouvements démocratiques clandestins, d'Europe et d'Amérique latine entre autres, le convoyage transfrontières de «courriers» enserrés dans les doubles-fonds de voitures de tourisme, la confection et la diffusion des bulletins de propagande. Mais ce qui a été l'apport capital du réseau Henri Curiel, avec en particulier Didar et «Blanche» (Rosette, l'épouse de Curiel), c'est l'organisation magistrale du transfert des fonds de l'Hexagone vers les banques suisses.
Ces fonds constitués pour l'essentiel des cotisations des ouvriers et commerçants algériens émigrés, le «nerf de la guerre», versés au budget de la direction du FLN (le CCE puis le GPRA). Cet argent a assuré en grande partie l'autonomie de fonctionnement de l'organisation du FLN, en particulier en Europe. Didar, tu étais une des chevilles ouvrières de ce système. Quand je te rencontrais durant nos années de clandestinité, à Paris, en Suisse et en Allemagne, tu m'impressionnais. Par l'âge, déjà, tu étais une «vieille» de presque 40 ans (!), j'en avais 24 ou 25. Je te trouvais très chic, grande, mince, d'une élégance discrète, le visage un peu dur, adouci par une chevelure très frisée, impeccablement taillée court et tu dégageais une telle impression de force tranquille, une «pro» ! Je ne connaissais pas ta vie, (clandestinité oblige), mais je cherchais à deviner ce mystère à travers ta voix qui roulait les «r» et la proximité que créaient les mots d'arabe qui parfois épiçaient tes propos. Je me souviens aujourd'hui que tu m'impressionnais par ta sobriété, te limitant à l'essentiel. Je souhaitais ardemment te ressembler parce que tu incarnais pour moi l'efficacité.
Je n'imaginais pas que tu puisses échouer dans une mission aussi délicate et risquée fut-elle. Parmi les autres femmes des réseaux de soutien que j'ai eu à connaître et pour lesquelles j'éprouve affection et grand respect, c'est toi qui m'en imposais le plus. Je sentais que je ne devais m'autoriser ni faiblesse ni familiarité sous ton regard pourtant bienveillant...
Ton nom restera dans l'histoire de la guerre d'Algérie comme celui d'une des six héroïnes, deux Algériennes Zina Haraigue, Fatima Hamoud, trois Françaises, Hélène Cuenat,Micheline Pouteau, Jacqueline Carré, et toi l'Egyptienne, leur aînée, militantes pour la libération de l'Algérie qui ont réussi l'exploit unique de s'évader, ensemble, une nuit de février 1961, de la prison de la Roquette à Paris !
Après l'indépendance, je t'ai revue à Alger, tu passais dîner à la maison et tu avais de longues discussions, passionnées et passionnantes, avec Rabah, mon mari, qui m'avait fait te connaître, sur notre avenir et les problèmes innombrables de notre jeune pays. J'y participais en vous écoutant surtout. Encore sous le coup de ta condamnation en France, avant l'amnistie, tu t'es sentie à juste titre «chez toi» ici, après ton bref passage au Maroc jusqu'au cessez-le-feu. Tu as offert de t'impliquer auprès de la jeunesse, et tu as partagé ce travail avec d'autres bonnes volontés, telle Maurienne. D'autres membres des réseaux de soutien ont fait la même démarche, tout en continuant à soutenir activement, à partir d'Algérie, les peuples encore en lutte pour leur émancipation. Nous ne devons pas les oublier. Souvenons-nous, les premières années de l'indépendance, Alger était la capitale mondiale des mouvements de libération.
Avec l'âge, et en écrivant ces lignes, maintenant que tu es partie, je ressens combien, sous tes dehors austères, il y avait de générosité, d'immense tendresse pudiquement enfouies au plus profond de ton âme. Je ne savais pas ta souffrance, alors que tout en étant entièrement disponible pour notre lutte, tu organisais à distance la vie de tes deux filles, Nevine et Maïra, menant ce second et douloureux combat des mères courage quand le couple se défait. Ce banal accident de la circulation, dans la ville de Genève, où tu as choisi de t'installer au crépuscule de ta vie, interrompt l'œuvre humaniste que tu poursuis depuis tant de décennies. J'ai appris en effet qu'à la lumière de ton immense expérience, il t'a paru évident que le combat de ce siècle devait être celui de l'émancipation des femmes dans le monde. Merci Didar !
Au nom de notre solidarité passée, que Nevine et Maïra, tes filles, reçoivent mes sincères et affectueuses condoléances.
Se joint à moi dans cet hommage, Akila, notre sœur de combat, qui t'a personnellement connue durant la décennie noire.
Alger, le 6 juin 2011
Salima Sahraoui Bouaziz
Militante permanente de l'OS /Fédération de France du FLN (1954/1962 )
Akila Abdelmoumen Ouared
Militante permanente de l'Organisation politico-administrative/ Fédération de France du FLN (1954/1962)


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