Sécheresse en Europe et en Amérique du Nord, volatilité des cours du pétrole provoquant la hausse des coûts de revient des produits agricoles, importations massives de céréales par les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient pour endiguer les tensions sociales dans une conjoncture marquée par les révoltes successives ayant provoqué depuis le début de l'année en cours la chute de certains régimes arabes. C'est dans ce climat qu'évolue actuellement le marché mondial des produits de large consommation dont la tendance pour les mois à venir sera faite d'augmentation de la demande accompagnée de la hausse des cours, notamment pour les blés et les oléagineux. La semaine dernière, le conseil international des céréales (CIC), en révisant à la baisse ses prévisions sur la production mondiale des céréales, prévient implicitement contre l'aggravation des tensions sur le marché des produits de large consommation à court terme. Dans son rapport publié à la fin du mois de mai, le CIC évalue «la production mondiale de blé à 667 millions de tonnes pour la campagne 2011-2012, soit 5 millions tonnes de moins par rapport aux estimations établies antérieurement». Excluant toute attitude alarmiste, l'organisation regroupant les principaux pays producteurs de céréales se montre rassurante en précisant que «le stock de la fin de campagne de blé resterait confortable à 185 millions de tonnes. (Maïs), le stock de maïs reste faible à 116 millions de tonnes, même s'il gagne 5 millions de tonnes par rapport aux prévisions établies précédemment». «Durant le mois de mai, les prix des grains ont été extrêmement sensibles aux orientations des marchés extérieurs », note aussi le CIC avant d'ajouter qu'« à cause de la météo très sèche, les prix de l'orge de brasserie ont rallié des sommets à trois ans ». L'analyse que vient de livrer le conseil international des céréales sur les mutations auxquelles sera soumis le marché des produits agricoles de base dans les mois à venir requiert donc une mobilisation appuyée contre toute éventuelle réédition de la crise de la période 2007-2008. Cependant, le groupe Oxfam, fédération d'ONG dont l'action est axée sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales, met en garde, lui aussi, contre la persistance des perturbations du marché des produits agricoles véhiculant à court terme l'extension de la pauvreté et la généralisation de l'insécurité alimentaire. Dans un rapport, qui a pour référence plusieurs études de cas et notes d'analyse, publié le 31 mai dernier sous le titre de « cultiver un avenir meilleur : la justice alimentaire dans un monde aux ressources limitées », le groupe Oxfam n'écarte pas la volatilité des prix des denrées alimentaires qui planera davantage sur le marché des produits de base. Les éléments d'analyse auxquels se réfèrent les experts d'Oxfam font ressortir que les principaux facteurs déterminant les prix des denrées alimentaires sur le long terme sont sans doute en train de changer, notamment la demande accrue dans les économies émergentes, mais cela n'explique pas de manière convaincante les pics ponctuels. Des récoltes reculent de 40% La dépendance du système alimentaire vis-à-vis du pétrole pour le transport et les engrais est un élément essentiel. « On prévoit en effet que le cours du pétrole va à la fois augmenter sur le long terme et se révéler de plus en plus volatile », est-il souligné. Dans le même temps, les stocks alimentaires ont diminué (en 2008, les ratios stock/consommation pour le blé, le maïs et le riz étaient au plus bas depuis la fin des années 1970 et le début des années 1980). En l'absence de réserves suffisantes permettant de garantir un approvisionnement consolidé, tout choc se répercute immédiatement sur les prix. «Dernièrement, certains pays ont commencé à acheter par crainte de pénurie sur les marchés ouverts pour tenter de se constituer des réserves, augmentant encore la demande sur le marché. La nervosité dans l'attente de la prochaine crise est exacerbée par un manque de transparence sur le niveau des réserves que détiennent les pays, (or) personne ne connaît réellement l'épaisseur du matelas de sécurité de chacun de ces pays », précise le document en question. En outre, le facteur climatique s'impose, comme élément primordial dans la tendance du marché des produits de base à long terme à la faveur des changements climatiques qui n'épargnent plus aucune région du monde maintenant que le réchauffement et la sécheresse frappent de plein fouet les pays européens et l'Amérique du Nord. A cet égard, les experts d'Oxfam prévoient, sur une longue durée, des «chocs liés à l'approvisionnement, et qui sont déjà problématiques, accentués d'autant plus que le changement climatique s'accélère». Certains ont pointé du doigt les mauvaises récoltes de blé en 2006 et 2007 comme l'un des facteurs de la crise alimentaire d'il y a 3 ans. En 2010, une vague de chaleur historique a provoqué un recul de 40% des récoltes de blé en Russie, obligeant les autorités moscovites à imposer des restrictions sur les exportations. «Personne ne sait ce que sera le prochain choc, ni où et quand il frappera», estime-t-on au sein de cette organisation qui se demande que serait-il advenu si la vague de chaleur de 2010 s'était abattue sur le Middle West américain, le grenier du monde, plutôt que sur Moscou ? L'économiste américain spécialiste des marchés agricoles et analyste environnemental, Lester Brown, estime que si une sécheresse persistante affecte les zones productives des Etats-Unis, «cela aurait fait chuter les niveaux de réserve de céréales en dessous de 52 jours de consommation, bien en deçà des 62 jours de stocks ayant déclenché la crise de 2008». Depuis le début de l'année en cours, d'autres conditions météorologiques extrêmes ont fait grimper les prix mondiaux et ont perturbé les récoltes au niveau des principaux fournisseurs à l'échelle mondiale.