La chambre d'accusation près la cour d'Alger examinera le 22 juin le dossier lié au scandale de l'autoroute Est-Ouest. Elle devra, dans un délai compris entre deux et trois semaines, statuer sur les qualifications des faits reprochés aux quatorze inculpés cités dans le dossier. Le juge d'instruction de la 9e chambre du pôle judiciaire spécialisé, près le tribunal de Sidi M'hamed, a, après 22 mois d'investigations, criminalisé le dossier, en présentant Chani Mejdoub (en détention) qui jouait le rôle d'intermédiaire entre la société chinoise, Citic-CRCC, et la japonaise Coojal, comme principal mis en cause auquel il reproche aussi le trafic d'influence, la corruption et le blanchiment d'argent. Pour les deux plus proches collaborateurs du ministre des Travaux publics, Belkacem Bouferrach, chef de cabinet (toujours en poste) et Mohamed Bouchama, secrétaire général, tous deux placés sous contrôle judiciaire, le juge a retenu les délits aggravés de trafic d'influence, corruption, perception indue de cadeaux et abus d'autorité. Il a prononcé le non-lieu pour l'inculpation d'association de malfaiteurs en ce qui concerne Mohamed Bouchama et les deux frères Bouzenacha (qui font dans le marché informel de la devise), poursuivis quant à eux pour délit de violation de la législation relative aux mouvements des capitaux de et vers l'Algérie. Pour ce qui est de Mohamed Khelladi, directeur des nouveaux projets auprès de l'Agence nationale de l'autoroute, le magistrat instructeur a décidé de maintenir cinq inculpations (association de malfaiteurs, dilapidation de deniers publics, corruption, abus d'autorité et perception indue de cadeaux). Ces quatre dernières inculpations pèsent également sur le colonel Khaled (Mohamed Ouazzane) du DRS (Département du renseignement et de la sécurité) détaché comme conseiller auprès du ministre de la Justice et maintenu sous contrôle judiciaire. Quatre chefs d'inculpation sont par ailleurs retenus contre Addou Tadj, l'intermédiaire, patron d'une unité de pêche, qui avait cité Amar Ghoul lors de ses aveux. Il s'agit d'association de malfaiteurs, trafic d'influence, blanchiment d'argent et corruption. Les mêmes chefs d'inculpation sont retenus également contre Hallab Kheïr, un autre intermédiaire, et l'énigmatique Kouidri Tayeb, qui avait quitté le pays précipitamment dès l'arrestation de Chani, en septembre 2009, pour rejoindre la Suisse où il a une résidence. Très proche de Amar Ghoul, Chakib Khelil, ancien ministre de l'Energie, mais également du défunt Ali Tounsi, et un haut responsable du ministère de la Défense, «avec lequel il est lié par alliance», il est aujourd'hui sous le coup d'un mandat d'arrêt international. Placé sous contrôle judiciaire, l'ex-DG de l'Algérienne de gestion des autoroutes (AGA), Ghozali Rafic est, quant à lui, poursuivi pour les délits : corruption et abus d'autorité. Inculpation des responsables de Citic et Cojaal Par ailleurs, le magistrat a inculpé les représentants de la chinoise Citic-CRCC pour trafic d'influence, corruption, participation à dilapidation de deniers publics, et la japonaise Coojal, pour octroi d'indus cadeaux et participation à dilapidation de derniers publics. L'autre inculpé sur lequel pèsent de lourdes charges, à savoir association de malfaiteurs, trafic d'influence, blanchiment d'argent et corruption, est Salim Hamdane. Cet ancien directeur de la planification au sein du ministère des Transports est actuellement en détention pour un autre volet du dossier et qui concerne les marchés du secteur des transports. Il avait été impliqué par Addou Sid Ahmed (neveu de Tadj) lui-même placé sous mandat de dépôt avant qu'il ne bénéficie de la liberté provisoire grâce à une intervention de la Présidence. Selon ce dernier, Hamdane monnayait les informations sur des projets de marchés dans le secteur des transports avec Addou Sid Ahmed (neveu de Tadj et cousin du wali d'Alger) lequel les «revendait» à son tour aux sociétés étrangères intéressées, notamment l'espagnole Isolux-Corsan, spécialisée dans la réalisation des tramways, l'italienne Pizzarotti, qui a obtenu le marché de construction du tramway à Constantine et la suisse Garaventa à laquelle les marchés de téléférique dans trois villes de l'Est ont été donnés, ainsi qu'Alstom qui a eu les marchés du métro et du tramway. Des informations en contrepartie desquelles d'importantes commissions auraient été versées. Elles auraient, selon l'instruction, transité par des comptes domiciliés en Espagne, Suisse, Italie et en France, appartenant à l'épouse de Hamdane, qui est Ghrieb Fella (fille de l'ancien ambassadeur, député FLN et membre de l'autorité de lutte contre la corruption mais également de ses deux sœurs Ghrieb Radia et Widad. Les trois filles ont été de ce fait inculpées pour participation à un blanchiment d'argent et placées sous contrôle judiciaire. Force est de constater que l'instruction autour de cette affaire a laissé de nombreuses zones d'ombre. Des personnes nommément citées, à l'image de Pierre Falcone, le trafiquant d'armes français, qui avait introduit les Chinois en Algérie, avant que Chani ne prenne le relais, ainsi que des ministres, tels que Benachenhou et Mohamed Bejaoui n'ont pas été entendus alors que Amar Ghoul, le premier responsable du secteur, dont les deux plus proches collaborateurs sont inculpés, déclare par écrit n'avoir pas été informé. De plus, le juge n'a pas estimé important de procéder à une expertise pour évaluer les montants de la dilapidation des deniers publics et, de ce fait, de lever le voile sur le coût réel de la réalisation de l'autoroute. Peut-être, faudra-t-il attendre le procès pour y voir clair, d'autant que dans le dossier, il n'y a qu'une seule plainte par le ministère des Travaux publics, celle déposée contre uniquement Mohamed Khelladi, celui qui avait révélé une grande partie du scandale. La question qui reste posée est celle de savoir si la chambre d'accusation suivra le juge d'instruction dans la qualification des faits ou va-t-elle demander un complément d'enquête pour éclaircir les zones d'ombre ?