Même s'il n'a pas participé aux débats en plénière après avoir suspendu l'ensemble de ses activités parlementaires, le parti du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) n'a pas pour autant passé sous silence la loi de finances complémentaire 2011. Il convient de se demander, sans passion, au lieu de verser dans l'autosatisfaction source de névrose collective si cette rencontre a apporté une valeur ajoutée pour le pays. Il convient aussi de se demander si le coût pour faire ces assises avancé par la presse algérienne - à savoir plusieurs milliards de centimes - est vrai alors qu'il appartenait à la société civile ou aux invités de l'étranger de se prendre en charge, comme toute vraie société civile qui vit grâce à la contribution de ses adhérents, les subventions de l'Etat étant seulement un plus et de surcroît marginales. J'ajouterai à cela, les heures de non-travail pendant trois jours de nombreux participants qu'il convient également de comptabiliser. C'est également comme cela que l'on mesure l'efficacité d'une institution surtout lorsqu'elle est budgétivore. Or, comme je l'avais prédit dans mes contributions à la presse algérienne et internationale, la rencontre sur la société civile organisée par le conseil économique et social du 14 au 16 juillet 2011 comme il fallait s'y attendre a montré un visage désolant du moins pour ceux qui se sont prêtés à ce spectacle, et de surcroît qui étaient loin de représenter la véritable société civile algérienne. Pas tous, car si certains avaient des calculs précis (monnayer leur participation contre avoir un poste de responsabilité via la rente), d'autres personnalités présentes étaient de bonne foi et y ont cru. Mais ont-elles été entendues ? Certains observateurs étrangers et nationaux ont pu parler d'un spectacle folklore, d'autres d'une véritable foire. La confusion qui prévaut actuellement dans le mouvement associatif national rend malaisée l'élaboration d'une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traversent et sa relation complexe à la société et à l'Etat ajoutent à cette confusion. En Algérie l'observation lucide met en relief quatre sociétés civiles fondamentalement différentes et antagoniques : trois au niveau de la sphère réelle et une dominante dans la sphère informelle. Le plus gros segment, présent au conseil économique et social qui est d'ailleurs l'interlocuteur privilégié, et souvent l'unique des pouvoirs publics sont des sociétés dites civiles appendice du pouvoir se trouvant à la périphérie des partis du FLN/ RND/, MSP vivant en grande partie du transfert de la rente. Deuxièmement, une société civile ancrée, franchement dans la mouvance islamiste, en dehors du MSP, peu présente, formant un maillage dense. Troisièmement, une société civile se réclamant de la mouvance démocratique, faiblement représentée à cette réunion, peu structurée, en dépit du nombre relativement important des associations qui la composent, et minée par des contradictions en rapport, entre autres, avec la question du leadership. Enfin, lorsqu'un Etat veut imposer ses propres règles à la société, celle-ci enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner avec ses propres organisations, une société civile informelle qui n'était pas présente alors qu'elle contrôle 40% de la masse monétaire en circulation, contribuant à plus de 50% à la valeur ajoutée hors hydrocarbures et employant la même proportion de la population active. Sans l'intégration intelligente de la sphère informelle, il ne faut pas compter sur une réelle dynamisation de la société civile. Des rencontres budgétivores à résultats mitigés Comme il fallait s'y attendre, nous avons assisté à une présence non représentative, formelle et ostentatoire, impuissante à agir sur le cours des choses et à formuler clairement les préoccupations et les aspirations de la société réelle. L'on a pu constater hélas l'état de désorganisation et de léthargie dans lequel se trouvent les segments présents où comme par le passé dans les congrès du parti unique l'on a misé sur le nombre pour aboutir à des recommandations générales que bon nombre d'intellectuels ou d'organisations avaient déjà suggérées aux pouvoirs publics. Comme cette phraséologie pompeuse que l'on retrouve sur tous les sites Internet traitant de la société civile, je cite l'agence de presse officielle APS : «La rencontre a vu l'adoption de la charte de la société civile à l'issue des travaux des premiers états généraux de la société civile qui considère la société civile comme un «élément constitutif» de la nation et «un lieu privilégié» de la promotion de la citoyenneté, dont elle est un élément fondateur ; comme une «source d'incitation à la cohésion nationale, avec pour but de «promouvoir l'intérêt général dans un cadre démocratique ». Pourquoi avoir abouti à ce résultat dérisoire? Exemple, certaines organisations ont demandé à l'Etat plus de subventions, la rente toujours la distribution de la rente alors que les propositions certes intéressantes du patronat ont déjà été formulées au niveau de la tripartie. Espérons que les pouvoirs publics tireront les leçons de cette rencontre, ne pouvant organiser la société civile selon une vision administrative bureaucratique, alors que son organisation sur d'autres bases est pourtant nécessaire et qu'ils donneront instruction afin que les rencontres prévues au niveau local avec encore des dépenses inutiles et surtout la perte de temps par certains organisateurs du CNES soient simplement annulées. Comment expliquer cette situation ? C'est qu'en ce mois de juin 2011 le constat est amer : vieillissement des élites politiques issues de la guerre de Libération nationale, obsolescence du système politique et enjeux de pouvoir internes, crise économique, sociale et culturelle et, enfin, contraintes externes de plus en plus pesantes ont abouti à l'absence dramatique d'une véritable stratégie nationale d'adaptation au phénomène total et inexorable qu'est la mondialisation. La conjonction de facteurs endogènes et exogènes a abouti finalement à une crise systémique d'une ampleur inattendue et à une transition chaotique qui se traîne en longueur depuis au moins 1986. J'arrive à cette conclusion que le blocage est essentiellement d'ordre culturel, certains décideurs rêvant toujours, déconnectés des réalités, croyant toujours être dans les années 1970 (vision dictatoriale et paternaliste) alors que le monde qui nous entoure et l'Algérie ont profondément changé. C'est pourquoi la réunion du conseil économique et social sur la société civile ne pouvait aboutir qu'à des résultats mitigés.