Le procès de l'ancien président tunisien, chassé du pouvoir à la faveur de la Révolution du jasmin, s'est ouvert, hier à Tunis, en l'absence du prévenu et de ses avocats lesquels, à partir de Paris, ont qualifié l'événement de «procès politique». Ni l'ancien chef d'Etat tunisien, réfugié en Arabie Saoudite avec son épouse, laquelle est également concernée par une action judiciaire, ni ses avocats, français et libanais, ne se sont présentés à l'audience d'hier. La défense était représentée par des avocats tunisiens commis d'office. Les chefs d'inculpation retenus contre l'ancien dictateur tunisien, qui a régné en maître absolu pendant près d'un quart de siècle, sont lourds et passibles de peines d'emprisonnement allant de 5 à 20 ans. Détournement de fonds publics, détention illégale d'armes et de stupéfiants, le procès de Ben Ali et de sa famille promet des révélations fracassantes sur la gestion privée de la Tunisie par le clan Ben Ali. Si, bien évidemment, le procès n'est pas parasité par des pressions de l'intérieur du nouveau régime, mais aussi de l'extérieur. Les rescapés de l'ancien système, tapis dans l'ombre ou qui se sont recyclés dans les institutions de la transition démocratique de l'après-Ben Ali, n'ont pas encore dit leur dernier mot. Ces forces du mal savent, pertinemment, que le procès de Ben Ali et de sa famille ne manquera pas de se transformer en procès du système, risquant d'éclabousser beaucoup de monde parmi la nomenklatura de l'ancien ordre établi qui a constitué le socle du régime déchu. C'est dire combien est grand, voire déterminant le défi que se sont lancé les nouveaux dirigeants tunisiens en ouvrant ce procès quelques courts mois seulement après la chute du régime et alors que la Tunisie vient à peine de s'engager dans la voie difficile de la transition démocratique qu'elle a beaucoup de peine à mettre sur les rails. Quelles que soient les raisons qui ont poussé les nouvelles autorités tunisiennes à ouvrir le procès de Ben Ali avec une telle célérité, par esprit de revanche, ou par souci de quête de crédibilité vécue comme une espèce d'acte fondateur de la nouvelle République tunisienne, l'événement est sans précédent dans le monde arabe. Indépendamment du cours que prendra ce procès, il s'agit là d'une première dans le monde arabe. A quelques encablures de là, un autre ancien président, Hosni Moubarak, chassé du pouvoir par une révolution populaire, dans les mêmes conditions, est lui aussi sous le coup d'une action judiciaire pour des chefs d'inculpation presque similaires : détournement de fonds publics, corruption ; tout comme il est poursuivi pour avoir donné l'ordre de tirer sur les manifestants de la place Al Tahrir. Tristes fins pour des dictateurs, hier seulement autoproclamés pères de leurs nations sur la foi de scrutins truqués, frôlant les 100%, et aujourd'hui voués aux gémonies et à la poubelle de l'histoire ! Nul doute que ces deux procès ne laisseront pas insensibles les autres dirigeants arabes, de la même veine autocratique, au Yémen, en Syrie et ailleurs, confrontés au même vent de contestation populaire. Les manœuvres de certains dirigeants arabes négociant leur départ du pouvoir en tentant d'arracher une immunité pour sauver leur peau ou s'efforçant de se maintenir au pouvoir en promettant des réformes politiques en déphasage par rapport aux événements qui agitent la région relèvent du pathétique.