La question de l'abrogation de la binationalité, agitée depuis quelques semaines par le Front national et la droite populaire, aile dure du parti de la majorité, l'UMP, fait polémique, donnant une tonalité politique malsaine à la campagne présidentielle de 2012. Le bouc émissaire de tous les maux et malaises de la société française est tout désigné : hier l'immigré maghrébin, musulman, aujourd'hui c'est le même maghrébin, musulman… mais binational. Qui devra choisir entre sa nationalité d'origine et celle de son pays d'accueil ou de naissance. Paris. De notre correspondante Mercredi, Libération publie sur son site un rapport signé par le député UMP, Claude Goasguen. Quelques heures plus tard, le député recule, assurant qu'il ne préconisait plus certaines des propositions contenues dans ce «document de travail», celles-ci ayant suscité un fort rejet de différents responsables politiques à droite comme à gauche. L'élu, rapporteur de la mission d'information parlementaire sur le droit de la nationalité, a indiqué qu'était seulement retenue la mesure subordonnant l'acquisition de la nationalité française par mariage ou naturalisation à «la renonciation expresse du déclarant» à sa nationalité étrangère. Le rapport de Claude Goasguen, tel que publié par Libération, prévoit d'«exiger» des personnes nées en France de parents étrangers nés à l'étranger qu'«elles choisissent entre la nationalité française et leur(s) nationalité(s) étrangère(s)», lors de leur demande de naturalisation. Il préconise aussi de «subordonner l'acquisition de la nationalité française à la renonciation expresse du déclarant ou du candidat à sa ou ses nationalité(s) étrangère(s)». Le document prévoit également d'«instituer un examen de naturalisation en renforçant les exigences de maîtrise de la langue française». Ce rapport sera communiqué le 29 juin à la commission des lois de l'Assemblée nationale, d'après Libération, après examen par les membres de la mission d'information sur le droit de la nationalité en France. Donnera-t-il lieu à un projet de loi ? Selon le président de la mission parlementaire, le socialiste Manuel Valls, interrogé par Libération, ce document servira plutôt à nourrir le débat avant la présidentielle de 2012. Les députés UMP de la droite populaire réclament, depuis plusieurs semaines, l'abrogation de la bi-nationalité, tandis que la présidente du FN, Marine Le Pen, a adressé en ce sens le 31 mai dernier un courrier à l'ensemble des députés. La binationalité fait pourtant partie de l'histoire républicaine de la France. La loi française n'a jamais exigé qu'un étranger, devenu français, renonce à sa nationalité d'origine. Remettre en cause la binationalité ne serait-ce pas un reniement des principes fondateurs de la République française ? Un signe de repli sur soi ? La demande d'abrogation de la double nationalité avancée par le FN et la droite populaire vise explicitement les Français issus de l'immigration maghrébine, particulièrement algérienne. Dans sa lettre aux députés, Marine Le Pen cible les «Français issus de l'immigration» dont la binationalité ferait obstacle à la «cohésion républicaine». La présidente du Front national ne voit que les «3,5 millions de Franco-Algériens», chiffre qu'elle affirme tenir de la presse algérienne (jeudi soir sur France 2 dans la nouvelle émission des «Mots et des actes» de David Pujadas). Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice UMP des Français établis hors de France, dans un texte datant du 17 juin, dénonce le populisme du débat sur la binationalité et prédit des «conséquences désastreuses» pour la France, si de telles propositions devaient passer, «tant en termes d'influence culturelle que de dynamisme commercial», dans la mesure où «les deux millions et demi de Français de l'étranger, dont la moitié sont des binationaux, forment un réseau dense et varié d'entrepreneurs, chefs de projets, commerçants, consultants et enseignants». Interrogé sur le sujet par LCI début juin, Eric Besson (ex-ministre de l'Immigration) estime que «dans les faits, ce serait très difficile à mettre en œuvre : ce serait contradictoire avec la législation de beaucoup de pays de par le monde qui autorisent de rester ressortissant (lorsqu'on est à l'étranger), a-t-il expliqué. «Et puis surtout, je pense aussi à nos compatriotes français à l'étranger qui ont la double nationalité.» Jean-François Copé ne serait pas favorable, lui non plus, à la modification de la nationalité dans le sens réclamé par le FN et la droite populaire de l'UMP. «Un citoyen français binational a les mêmes droits, civiques notamment et les mêmes devoirs, cotisations, impôts, etc.» que les autres citoyens français, a-t-il ajouté devant la presse à la sortie d'une réunion du bureau politique de l'UMP, début juin. Les Français binationaux «participent à leur manière à la vie de notre pays et il est très important que l'on soit très respectueux de leur identité», selon M. Copé. «Je le dis d'autant plus qu'une part très importante des Français établis à l'étranger sont binationaux», a-t-il insisté. De plus, «vous avez des pays qui ont décidé que l'acquisition d'une autre nationalité ne pouvait pas entraîner la renonciation à la première», a-t-il fait valoir. «Je trouve que c'est une idée qui mérite d'être débattue (...) indépendamment de la position que peut prendre le Front national de Marine Le Pen ; il n'est pas illégitime de discuter de cette question et de savoir comment il est possible d'avoir une double fidélité, une double appartenance, une double série de droits et de devoirs», a estimé pour sa part le conseiller spécial du président, Henri Guaino, début juin. «J'ai tendance à penser qu'il y a dans l'immédiat des points plus importants et que, peut-être même, ouvrir ce débat dans le climat actuel n'est pas forcément la meilleure des choses», a-t-il ajouté. Dominique de Villepin a déclaré : «Quand on voit l'extraordinaire ridicule, et je pèse mon mot, de ce débat sur la binationalité, qui est un reniement de la tradition française (...) on se rend compte d'abord qu'il y a un certain nombre de responsables politiques qui se foutent du monde, qui se foutent des Français, qui jouent sur les peurs et les divisions».