Signaux de décrispation dans les relations avec la France ? Le groupe d'amitié Algérie-France du Conseil de la nation, présidé par Mme Zohra Drif-Bitat, se trouve actuellement en France pour une visite de travail (du 27 juin au 2 juillet) à l'invitation de Claude Domeizel, président du groupe d'amitié France-Algérie du Sénat français. Paris. De notre correspondante Mme Drif-Bitat n'est pas une personnalité politique anodine ; elle représente la génération de Novembre 1954, ancienne condamnée à mort par l'administration coloniale et veuve d'un des responsables de l'Appel de Novembre, Rabah Bitat. Faut-il comprendre que l'Etat algérien n'exige plus de l'Etat français la repentance sur son passé colonial en Algérie ? Qu'il a définitivement tourné la page ? L'échange qu'a eu Mme Drif-Bitat au siège de l'ambassade d'Algérie, lundi soir, avec les correspondants de la presse algérienne, nous donne à le penser. Mme Drif-Bitat affirme que le rôle du groupe qu'elle préside est de «promouvoir des relations d'amitié avec le peuple français», des «relations de confiance» entre parlementaires algériens et français, de «discuter des problèmes qui intéressent nos deux peuples en toute franchise». Et d'indiquer : «Dès la Déclaration du 1er novembre 1954, le FLN a dit, et cela a été ensuite constant, que nous combattons les forces colonialistes et non le peuple français.» Alors que nous lui demandons si le terme de reconnaissance n'est pas plus approprié côté algérien que le terme de «repentance» que l'Etat français refuse, Mme Bitat affirme qu'«on reconnaît quelque chose qui n'est pas clair, le passé est un fait établi». «On ne peut pas se mutiler et dire qu'avant 1962 rien n'a existé. Nous sommes dans la cohérence, ce passé existe.» «Nous nous sommes battus pour l'indépendance de notre pays, une fois notre liberté et notre dignité recouvrées, nous n'avons pas entretenu un quelconque ressentiment. Nous sommes un pays indépendant, nous voulons des relations normales avec la spécificité de notre histoire avec la France.» Alors que la France est tentée par le repli sur ses frontières et sur son identité, par le rejet de l'autre, quel rôle, quelle influence pour le groupe d'amitié, est-il demandé à sa présidente. «Nous travaillons à lever certains malentendus, à faire avancer les choses.» «Notre rôle est d'essayer d'éclairer, de rapprocher la position des uns et des autres pour trouver des solutions acceptables pour les uns et les autres. Nous sommes concernés par le présent, le passé et le futur. En tant que représentants du peuple, nous ne pouvons ignorer ses aspirations. On ne peut pas bâtir l'avenir si le passé n'est pas définitivement clarifié.» Mme Drif-Bitat a ajouté : «Nous avons un regard apaisé, bien que nous ayons énormément souffert. L'Algérie s'est construite. Pour moi, les choses sont claires et évidentes. En 1962, nous avions à construire un pays dévasté. Il y avait des priorités. Le passé c'est le passé, la page est tournée mais pas déchirée, les choses sont très simples et très claires.» Le sont-elles du côté français, lui est-il demandé. L'Algérie est-elle officiellement en demande de cette repentance ? «J'ai toujours pensé et je continue à penser que ce qui m'importe, moi, très honnêtement, c'est mon pays et ce que je vais en faire. C'est à nous, parce que ce que nous allons faire de notre pays, c'est par nos enfants à qui nous avons essayé de donner les moyens de prendre la relève, de faire que le passé ne meure jamais. Mon passé, c'est à moi à de le garder vivant. Maintenant, que les Français prennent telle ou telle position, c'est leur problème. Ce qui est important pour moi, c'est que mon peuple ait cette conviction profonde qu'il a un passé, que les jeunes générations portent en eux cette image d'une Algérie avec une grande histoire. Quand vous portez en vous cette grande image, vous allez l'imposer et demain, vous imposerez le passé.» Qu'a-t-on fait pour que les jeunes portent cette image ? «Qu'il y ait des insuffisances dans le système éducatif, c'est vrai, mais l'Algérie a fourni tout de même des efforts énormes depuis 1962. On oublie qu'en 1962, on était un peuple analphabète. Nous avons commencé à zéro, nous avons essayé de répondre aux préoccupations qui ont été les nôtres en fonction des réalités du moment. On a fait une partie du chemin et c'est à vous que nous transmettons l'héritage. Comment votre génération va-t-elle le prendre en charge ? On nous fait souvent le reproche de ne pas avoir dit, de ne pas avoir transmis… Imaginez que vous arriviez dans votre maison dévastée, qu'est-ce que vous allez faire ? Vous allez commencer par la reconstruire.» Interrogée sur les velléités d'abrogation de la binationalité avancées par l'extrême droite et la droite populaire, Mme Drif-Bitat a répondu : «La France prend les lois qu'elle veut, avec les accords d'Evian, les deux parties ont accepté la double nationalité. Jusqu'à présent, l'Algérie n'a pas remis en cause ce principe-là et pour nous, cela reste une richesse. Si les Français en décident autrement, l'Algérie ne pourra que constater.» A signaler que la délégation algérienne est composée de Abdallah Bentoumi (RND), vice-président du Conseil de la nation ; Mme Fawzia Benbadis (tiers présidentiel), vice-présidente de la commission des affaires juridiques administratives et des droits de l'homme ; Mohamed Zakaria (tiers présidentiel), vice-président de la commission de l'équipement et du développement local ; Karim Abbaoui (FLN), membre de la commission de la culture, de l'information, de la jeunesse et du tourisme ; Chaib Bensaidane (MSP), membre de la commission des affaires juridiques administratives et des droits de l'homme ; Mohand Akli Benyounès (tiers présidentiel), membre de la commission des affaires étrangères, de la coopération internationale et de la communauté algérienne à l'étranger ; Mohand Akli Semmoudi (RCD), membre de la commission de la santé, des affaires sociales, du travail et de la solidarité nationale ; Mlle Anissa Tahraoui, chef d'études au Conseil de la nation.