Quatre mois après l'ouverture du dossier lié aux marchés de fourniture d'équipement d'informatique par la société ABM à la Sûreté nationale, l'instruction se poursuit toujours. Dix-neuf personnes – seize cadres de la DGSN et trois dirigeants d'ABM – ont été inculpés. En plus de ces derniers, deux responsables de la police ont été placés sous mandat de dépôt. Renvoyée par la Cour suprême pour être jugée par le tribunal criminel près la cour d'Alger, l'affaire liée à l'assassinat de feu Ali Tounsi, ancien directeur général de la Sûreté nationale (DGSN) est en stand-by. Elle risque d'attendre encore longtemps vu qu'elle pourrait être liée à celle en instruction au niveau du tribunal de Sidi M'hamed, relative à la passation de marchés entre la société privée ABM et la Sûreté nationale. Ce dossier, faut-le préciser, a été ouvert au niveau du tribunal de Bab El-Oued par le juge d'instruction en charge de l'affaire concernant l'assassinat de Ali Tounsi, avant d'être transféré au juge de la 7e chambre du pôle judiciaire spécialisé près la cour d'Alger. C'est vers la fin du mois de mars dernier que les dirigeants de la société privée Algerian Business Multimedia (ABM), Mohamed Antri Bouzar en tant que PDG (détenant 99% des actions), Toufik Sator, directeur général adjoint (gendre de Oultache propriétaire de 0,12% des parts) et Zerouk Djaïdir, directeur commercial, ont été inculpés. Le juge d'instruction a auditionné le directeur de l'administration générale, le commissaire divisionnaire Saïd Dhimi, qui avait une délégation de signature de la DGSN pour parafer les marchés au nom de l'institution, ainsi que le commissaire Fettane (sous-directeur des marchés) et une quinzaine d'autres cadres de la Sûreté nationale, notamment les membres de la commission des marchés, mais également le colonel Oultache en tant que responsable du service ayant bénéficié du marché. PLUSIEURS INCULPATIONS ET DETENTIONS En tout, le magistrat instructeur a inculpé 19 personnes parmi lesquelles les trois dirigeants d'ABM, accusés, entre autres, de «complicité de dilapidation de derniers publics». Quinze cadres de la police ont été également inculpés pour «dilapidation de deniers publics» et «violation de la réglementation des marchés publics». Parmi eux, douze ont été placés sous contrôle judiciaire et trois – le divisionnaire Dhimi, le commissaire Fettane et le colonel Oultache – sous mandat de dépôt. Pour ce dernier ainsi que Toufik Sator (son gendre), les inculpations sont «trafic d'influence, collusion d'intérêt, dilapidation et complicité de dilapidation de deniers publics». Les deux autres dirigeants d'ABM, Mohamed Antri Bouzar et Zerouk Djaïdir, ont aussi été placés en détention. En fait, ces marchés avaient, avant même l'assassinat du DGSN, suscité des rumeurs au sein de l'institution policière. Feu Ali Tounsi avait saisi le service de l'inspection générale pour ouvrir une enquête début février 2010. Etant en charge de l'unité aérienne et de la modernisation des services de la DGSN, Oultache aurait, selon le rapport, privilégié la société où exerce son gendre Sator pour obtenir les trois contrats de consommables informatiques selon la formule de gré à gré en dépit des prix jugés excessifs, après qu'un avis d'appel d'offres eut été déclaré infructueux. Une des raisons qui auraient – selon le dossier judiciaire lié à l'assassinat de Ali Tounsi – provoqué l'altercation entre Oultache et Tounsi qui a précédé l'assassinat de celui-ci, en cette journée du 25 février 2010. Mais si pour le juge, il y a «trafic d'influence et collusion d'intérêt» entre Chouaïb Oultache et Sator Toufik, les avocats des patrons d'ABM avancent pour leur part un autre son de cloche : «La société fait l'objet d'une cabale judiciaire parce que le gendre du colonel Oultache détient 1% de son capital. Le montant des marchés mis en cause représente un taux insignifiant du chiffre d'affaires de l'entreprise.» Et de préciser que «les dirigeants de la société ne sont que les boucs émissaires d'éléments étrangers aux poursuites». Mieux, lorsque Me Belarif a été interrogé sur le lien entre son mandant Chouaïb Oultache, présumé auteur de l'assassinat de Ali Tounsi, et la société ABM, il répond : «ABM appartient à 99% à Antri Bouzar. Le gendre d'Oultache y travaille en tant que directeur général adjoint chargé de l'organisation. En cette qualité, il détient 0,12% des actions. Sa quote-part est vraiment infime pour pouvoir dire qu'elle lui appartient. Aucun élément susceptible de le lier à l'assassinat de Tounsi n'a été établi. Il faut préciser qu'Oultache, son équipe et l'ensemble des représentants des structures de la DGSN font partie de la commission d'évaluation technique des offres qui siège au niveau de sa direction. Ils établissent un tableau comparatif des soumissions et le transmettent à la direction générale de l'administration (DAG) qui décide du choix de l'offre, en tant que service contractant.» Entre les avis des uns et des autres, les mis en cause sont en détention depuis près de 4 mois alors que le dossier lié à l'assassinat de Ali Tounsi reste toujours pendant. En tout état de cause si pour ce dernier, il est attendu qu'il soit jugé lors de la prochaine session criminelle prévue début septembre, le juge d'instruction de la 7e chambre du pôle judiciaire spécialisé près la cour d'Alger ne peut prolonger de quatre mois une seconde fois la détention provisoire. Au vu du code de procédure pénale, au plus tard au mois d'octobre, les mis en cause doivent être soit jugés soit libérés.