Après une période de reflux de plusieurs semaines, la révolution démocratique égyptienne est en train de connaître un second souffle. Déçus par le retard accusé dans la mise en place des réformes politiques promises par le pouvoir militaire au printemps dernier, des milliers d'Egyptiens se sont donné rendez-vous, hier, sur l'emblématique place Tahrir, au Caire, pour exiger davantage de droits et le jugement des éléments des services de sécurité impliqués dans la répression sauvage du soulèvement des mois de janvier et février derniers. Ils réclament particulièrement la tête de ceux qui ont causé la mort de près 900 manifestants. A ce jour, seul un policier a été condamné par contumace. Beaucoup de gens estiment également que rien n'a vraiment changé depuis la chute de Moubarak. Le mécontentement est général. En plus du Caire, des rassemblements regroupant des dizaines de milliers de personnes ont eu lieu à Alexandrie et à Suez. Ayant perdu une partie de ses illusions, la rue égyptienne demande maintenant rien de moins que le limogeage immédiat des responsables (militaires et civils) de l'ancien régime encore en poste dans le gouvernement et la levée de la loi sur l'état d'urgence en vigueur depuis 30 ans. La relaxe, en début de semaine, de trois ex-ministres de Hosni Moubarak inculpés dans des affaires de corruption a aggravé le sentiment de frustration de la population. Contre toute attente, un tribunal a décidé aussi d'accorder à 10 agents de police la liberté sous caution alors qu'ils avaient été présentés comme les assassins présumés de jeunes manifestants. Face à une telle situation d'impunité, les parents des Egyptiens morts durant les manifestations sont sortis cette semaine dans la rue pour réclamer justice. Le pouvoir a bien essayé de se rattraper pour calmer la population en remerciant notamment les maires élus sous M. Moubarak. L'initiative n'a cependant pas permis de calmer la colère de la rue. Portée au pinacle au lendemain de la chute de Moubarak pour sa retenue durant le printemps arabe, l'armée égyptienne est aujourd'hui la cible d'importantes critiques. La population égyptienne l'accuse ouvertement de chercher à freiner les réformes politiques et à sauver certaines personnalités proches de Moubarak. En fait, l'armée égyptienne est aujourd'hui dans une position des plus inconfortables, c'est le moins qu'on puisse dire. Moubarak tombe, un maréchal le remplace Jusqu'à présent, les forces armées égyptiennes se sont comportées comme un allié de la «révolution». Ce statut présente néanmoins des avantages et des inconvénients. Comme en Tunisie, la société égyptienne, grâce à l'armée, n'a pas souffert des drames sanglants qui suivent généralement une révolution. L'inconvénient est que même si elle a protégé la révolution, l'armée n'est pas révolutionnaire. Comme dans de nombreux pays arabes, elle est seulement favorable à des réformes définies et limitées. On ne peut pas vraiment dire, donc, comme cela a pu être dit ici et là, que le peuple et l'armée sont sur la même longueur d'onde. C'est la raison pour laquelle le peuple tente de maintenir une pression constante sur les militaires pour obtenir satisfaction à ses demandes. Le tout est de savoir maintenant si le Conseil suprême des forces armées est prêt à céder un jour le pouvoir aux civils. Quoi qu'il en soit, les Egyptiens paraissent prêts à payer le prix qu'il faut pour arracher leur liberté. Il est certainement juste de dire que l'évolution de la «révolution démocratique» égyptienne déterminera aussi le devenir des autres révoltes dans le monde arabe. Organisés à l'appel de mouvements de jeunes favorables à la démocratie et de partis laïcs, les rassemblements organisés hier à travers les grandes villes égyptiennes – et que le mouvement des Frères musulmans a rallié à la dernière minute – interviennent cinq mois après la chute du président Hosni Moubarak. Preuve de leur détermination : les manifestants présents place Tahrir brandissaient des banderoles réclamant la «Réalisation des promesses du printemps arabe». «Notre révolution continue», pouvait-on lire sur une autre banderole. Un manifestant portait une pancarte où était écrit : «Nous n'avons pas vu de changement. Nous avons renversé Moubarak, mais nous avons un maréchal à la place», allusion faite au maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil militaire qui dirige le pays.