Le 8 juillet 2011, environ 400 activistes humanitaires de différentes nationalités ont essayé de rejoindre les territoires palestiniens occupés. Ils voulaient se rendre en Cisjordanie, dans le cadre de l'initiative «Bienvenue en Palestine». Ils ont, pour la plupart, été bloqués dans les aéroports de leurs pays d'origine. Ceux qui ont pu atterrir sur le tarmac de l'aéroport de Tel-Aviv ont été surpris par le comportement «barbare» des soldats et policiers israéliens qui les attendaient de pied ferme. Deux victimes de ce comportement rapportent à El Watan leurs témoignages. Il s'agit de Karine Sego, une Française d'origine espagnole, et Linda Kaouche, une Française d'origine algérienne. Dans cet entretien jumelé, elles dénoncent les dépassements dont elles ont fait l'objet, avant d'être expulsées vers la France. - Quelles sont les raisons qui vous ont motivées pour faire partie de la flottille aérienne ? Karine Sego : j'active dans ce mouvement depuis quelques mois. Ma curiosité m'a poussée à faire des recherches sur le conflit israélo-palestinien. Plus j'en apprenais, moins je comprenais le silence et la complicité des médias français. J'ai pris contact avec plusieurs associations. J'ai finalement rencontré des personnes qui m'ont aidée à y voir plus clair. Puis, lorsqu'on m'a parlé de la mission «Bienvenue Palestine», je me suis dit que c'était l'occasion d'agir et de voir de mes propres yeux ce qui se passe là-bas. Je ne connais pas tout les tenants et les aboutissants de ce conflit et je n'ai pas la prétention de dire que je sais tout. J'ai décidé de m'engager pour des raisons humanitaires. Linda Kaouche : les raisons qui m'ont poussée à faire partie de cette flottille sont avant tout humaines, et évidemment c'était également un choix politique. Mon but était de rencontrer les Palestiniens afin qu'ils sachent que leur cause est soutenue. Bien qu'Israël et les gouvernements occidentaux tentent de nier leur droit à l'existence, nous, citoyens des sociétés civiles, nous le leur reconnaissons. - Quel a été le premier contact dès votre arrivée à l'aéroport de Tel-Aviv ? Karine Sego : dès notre arrivée, la PAF israélienne nous a rassemblés dans une pièce, où il y avait aussi d'autres personnes, dont le nom était à consonance arabe. Physiquement, on a toujours cru que j'étais une beurette. Par la suite, ils n'ont cessé de nous déplacer de salle en salle et escortés par des dizaines de soldats, sans nous dire où on allait ni même pourquoi ils faisaient tout cela. J'avais vraiment l'impression qu'ils nous prenaient pour du bétail. Linda Kaouche : à notre arrivée, nous avons rejoint directement la file pour le contrôle des passeports. Sur le chemin qui nous séparait des postes de contrôle, il y avait, sans grand risque de me tromper, au moins 500 policiers/militaires qui nous attendaient. Ils nous ont cueillis avant même que nous ayons atteint les postes de contrôle. Ils nous ont arrêtés et nos passeports ont été confisqués. J'étais parfaitement à l'aise dans mes échanges avec eux, car j'étais consciente qu'ils n'avaient rien à me reprocher. Ils ont très mal apprécié mon attitude. Une policière est venue me chercher. En tête à tête, elle m'a demandé si je parlais anglais. Je lui ai répondu : «Non». Mais, pour elle, je maîtrise parfaitement l'anglais et que je ne voulais pas coopérer (à quoi exactement ?). Elle m'avait alors prévenue que la recherche d'une personne qui parle le français allait prendre plus de temps. J'ai haussé les épaules. Fâchée, elle a voulu me conduire sur-le-champ à l'aéroport pour prendre un avion de retour. C'était hors de question pour moi. Le calvaire a duré plus de 6 heures. Ensuite, un policier israélien est venu me voir. Il parlait français et m'a demandé quel était l'objet de ma présence en Israël. Je lui ai dit : «Je ne suis ici que de passage, je me rends à Bethléem pour rendre visite à nos amis palestiniens dans le cadre des activités d'une association.» Notre détention a duré plus de cinq jours durant lesquels nous avons vraiment souffert. - Selon vous, pourquoi les sociétés civiles européennes ne participent pas massivement à ce genre d'opérations ? Karine Sego : à mon avis, cela est dû au manque d'informations. Les médias européens en général, et français en particulier, ne jouent pas leur rôle. Tout le monde croit que tout va bien. Le monde est devenu égoïste et nombriliste ; tant que ça ne se passe pas chez eux, ils ne s'y intéressent pas. Linda Kaouche : les sociétés européennes ne sont pas informées. Les médias occidentaux font un blocus de l'information concernant la Palestine, et inversent éternellement les rôles d'agresseur et d'agressé. Ils présentent les Palestiniens résistants comme des terroristes, sans mentionner que les Israéliens utilisent des bombes au phosphore et nombre d'armes interdites contre les populations palestiniennes. Dans la prison où nous avons été incarcérés, les barbelés utilisés font partie de ces armes illégales. Le gouvernement français est complètement complice de ce pseudo-Etat. Il n'y a qu'à voir le nombre de participants à la mission qui ont été bloqués illégalement à l'aéroport de Paris Charles de Gaulle pour comprendre la situation. Les médias occidentaux appartiennent aux grands groupes capitalistes qui ont toute la complicité du gouvernement Sarkozy. Il n'y a aucune liberté de la presse en Europe. C'est une véritable utopie. - Comment s'est effectué le retour ? Karine Sego : difficilement ! Après avoir quitté la prison et avant l'embarquement, on a subi de nouvelles fouilles corporelles. Ils nous ont fait patienter dans une salle. Puis on nous a appelés un par un pour nous escorter. Les policiers étaient vraiment méchants avec nous. Linda Kaouche : contrairement à notre arrivée à l'aéroport, nous avons eu droit à un traitement différent à notre expulsion. Nos diverses protestations ont été payantes et les autorités israéliennes, qui cherchent peut-être à rectifier le tir, ont mis à notre disposition un minibus climatisé. Les policiers venaient nous chercher une par une. Nous n'avions même pas le droit de dire au revoir aux autres filles arrêtées. Nous n'avions pas le droit de rallumer nos téléphones ni de prendre des photos. En arrivant à Paris (France), nous n'avons trouvé à l'accueil que les missionnaires. Les médias français ne se sont pas intéressés à notre sort. Il faudra aussi rappeler que parmi les personnes arrêtées en Israël, il y avait un enfant de 9 ans et des vieux de 75 et 85 ans. Ce sont des terroristes ces policiers et militaires israéliens. - Comptez-vous repartir en Palestine ? Karine Sego : absolument. Ils ont voulu nous affaiblir en nous enfermant, mais on est ressortis encore plus forts et déterminés. Pour ma part, j'y retournerai sans hésiter. Linda Kaouche : oui. Dès que je ne serai plus interdite de séjour. - Quel message lancez-vous à la communauté internationale ? Karine Sego : que l'ONU arrête de fermer les yeux et de se boucher les oreilles face aux agissements d'Israël. Ce qui se passe en Palestine c'est de l'épuration ethnique. Il est temps de devenir citoyen du monde et pas citoyen de son propre monde. Linda Kaouche : la communauté civile internationale a le devoir de demander la transparence et l'honnêteté. La société civile doit suppléer son gouvernement partial et défaillant. En France, cela est inscrit dans les lois. Et si les positions des gouvernements n'évoluent pas, les sociétés civiles doivent les renverser parce que ces gouvernements sont des dictatures.