La distribution s'est faite par voie de presse et les édifices étaient sous haute surveillance, cependant il y a eu beaucoup de remous. Contrairement à ce que tout le monde attendait, la liste des attributaires de logements sociaux n'a pas été affichée dans les lieux publics. Les autorités locales ont préféré la publier dans la presse pour éviter les regroupements devant les institutions étatiques. La veille, des membres de la commission avaient déjà donné l'information à leurs proches, d'où l'arrivée en masse de plusieurs citoyens devant les buralistes avant l'arrivée des livreurs de journaux. Au petit matin les cafés étaient déjà bondés à craquer de policiers en civil et autres en uniformes, et plusieurs véhicules faisaient des rondes autour du siège de la daïra et celui de la wilaya. Des dizaines de personnes ont aussitôt pris d'assaut ces derniers. A 9 heures, trois jeunes se découvrent le torse et s'automutilent à l'aide d'objets tranchants. L'un d'eux se détache du groupe des contestataires, tire un couteau de sa poche et en fait passer la lame autour du cou. Le sang qui coulait avec abondance ne le décourage pas. Il porte un autre cou à son propre abdomen, devant les passants et les automobilistes médusés. Cela s'est passé devant le siège de la wilaya. Au même endroit, un handicapé qui pouvait à peine balbutier quelques mots, crie de toutes ses forces. Renseignements pris auprès de gens qui le connaissent, l'homme atteint de plusieurs maladies chroniques, vit dans un logis de fortune. Il n'a pas apprécié les noms de quelques bénéficiaires qu'ils croient aisés. Un quinquagénaire s'adresse ainsi aux passants: «Voici un bénéficiaire d'un logement FNPOS (nom et adresse faisant foi) qui est en même temps inscrit sur ces listes.» Mohamed Boumessaâd, un retraité devenu SDF avec cinq membres de sa famille après son expulsion par voie de justice d'un logement loué auprès d'un particulier (voir nos éditions précédentes), nous aborde non loin de la daïra. Il exprime toute sa rancœur à travers ces propos: «Voyez vous-mêmes le favoritisme et la hogra dont nous faisons l'objet.» Il éclate en sanglots et se dirige vers le siège de la wilaya muni d'un dossier avec arrêté d'expulsion. L'homme se fie et se confie depuis des mois à la presse sans réserve. Ne voulant guère effleurer la déontologie journalistique par des répliques partiales, nous nous sommes retrouvés nous-mêmes en larmes. A l'heure où nous rédigions ce papier, aucun autre incident important n'a été signalé. Le chef de daïra que nous avons tenté de joindre par téléphone pour recueillir de plus amples informations à ce sujet, a été déclaré absent.