Les pêcheurs semblent se plaindre de la rareté du poisson. «Des braconniers s'aventurent à ratisser large en terrassant le produit de mer de manière illégale à quarante mètres du rivage». Accoudés à la balustrade longeant le front de mer de Bologhine, ou assis sur un rocher dont la forme est façonnée par le ressac de la mer, des pêcheurs à la ligne se donnent rendez-vous sur cette côte littorale pour taquiner le poisson qui, disent-ils, se fait rare de nos jours. Loin du tumulte de la ville, les amateurs de la pêche à la ligne, ceux qui font de cette passion leur violon d'Ingres, s'offrent des heures interminables à contempler la mer, guettant le moindre mouvement du bout de leur canne. On les voit accroupis ou debout le long de l'enrochement servant de digue derrière le complexe sportif Mohamed Ferhani. Après avoir accroché à l'hameçon un appât qu'ils déroulent d'une balle d'esche (petite crevette, vers de fond appelé communément douda – très prisée par le poisson – sardine ou crabe, ils sont là à attendre leur butin devant le ressac de la mer. Qu'il pleuve ou qu'il vente, les mordus de la pêche à la ligne restent toujours fidèles à leur poste. «La pêche à la ligne est ma passion. Je ne peux me passer de ce passe-temps favori auquel mon père m'a initié depuis mon jeune âge», nous lance Djamel, accroupi sur un rocher au lieudit Laâyoun, visière sur le front, cigarette clouée au bec et la canne à pêche à la main. Le front de mer demeure cet endroit qui leur offre, qui un cadre de détente et d'évasion, qui un moment de flânerie, loin de la fébrilité de la cité et qui une occasion de remplir sa gibecière des produits de la mer pour l'écouler, le soir venu, au marché des Trois-Horloges et se faire quelques picaillons. «Je suis obligé de vendre les quelques pièces de poisson que je pêche pour pouvoir subvenir à mes besoins», dira Merzak, qui semble dire à chaque jour suffit sa peine. Dans les rets des pêcheurs A un jet de pierre de l'enrochement artificiel (tétrapodes servant d'ouvrage de protection), Bologhine. Une bourgade littorale dominée par l'imposante basilique qui échappe un tant soit peu au ramdam du quartier populeux qu'est Bab El Oued. Lorsqu'il fait beau, la rambarde – peinte affreusement en noir au lieu du vert wagon – du front de mer est littéralement assaillie par une nuée de pêcheurs à la ligne, notamment à la lumière vespérale. Ces derniers semblent se plaindre de la rareté du poisson. «Des braconniers s'aventurent à ratisser large en terrassant le produit de mer de manière illégale à quarante mètres du rivage», déplore Sid Ali qui déroule son moulinet dans le coin dit l'Olivier. Devant les petites barques qui viennent balancer leurs filets en usant du procédé «khbat Ibat» (jargon des pêcheurs signifiant fouetter la paroi de l'embarcation sur l'eau pour faire paniquer le poisson), pas grand-chose à mettre dans la besace, marmonne-t-il, le visage fouetté par les embruns de la mer. Il n'a récolté depuis trois bonnes heures qu'un mulet, une «kahla» et quelques «demoiselles». Et son ami Redouane de renchérir : «Quand bien même on trouve sur le marché tout l'attirail de la pêche, il n'y a pas de mess» (la touche) comme autrefois, aime-t-il rappeler aux baladeurs curieux qui arpentent le boulevard. Il met à l'index certains pêcheurs chalutiers. «Il y a des pêcheurs indélicats qui n'en ont cure du respect du repos biologique des ressources halieutiques, ce qui menace la période de frai du poisson qui va de mai à septembre, selon la réglementation en vigueur», dira-t-il, non sans s'indigner contre ceux qui exercent leur activité en utilisant des filets à maille non réglementaire. «Les rets qu'ils dressent près du rivage ne laissent rien filer. Ils interceptent toute la ressource», fulmine-t-il. En effet, la pollution, le non-respect de la pause biologique, le braconnage dans les zones interdites à la pêche, l'usage d'explosifs et la pêche sous-marine, sont autant de facteurs de la disparition du poisson de nos côtes.