Nul n'est prophète dans son pays, à Skikda, encore moins. Le 26 juillet, à moins d'une semaine du mois sacré du Ramadhan, la famille de Ali Oudjani, Aliouat pour les intimes, devra plier bagage et quitter le logement de fonction qu'elle occupe au CEM Lamrani, depuis 1963. «Voilà que je vois le labeur de toute une vie consacrée au savoir et à la culture empaqueté dans des cartons. C'est le drame de ma vie…et de celle de mon mari», lance Mme Oudjani, épouse de celui que le tout Skikda appelle «Cheikh». Aliouat a aujourd'hui presque 80 ans. Il est alité et grandement affecté. Normal, voilà qu'à son âge et après avoir formé des générations entières, on le pousse vers la sortie comme un vulgaire «indu occupant». On le chasse et on efface d'un trait tout ce qu'il a apporté à son pays et à cette Skikda qu'il aime tant. «Pour faciliter cette mise à la porte, on laisse croire, ça et là, qu'il aurait un logement. Je défie quiconque de le prouver. Il ne possède aucun bien et voici le certificat négatif qui le prouve. Pourquoi nous chasser alors ?» poursuit madame Oudjani. Aliouat a tout donné à l'éducation, au sport et au journalisme à Skikda. Il a occupé ses premières fonctions dans l'enseignement, à Djemaâ, dans le Sud, en 1955 déjà. Aux premières heures de l'Indépendance, il entame une collaboration avec le quotidien El Moudjahid et plus tard avec l'hebdomadaire El Hadef. Mélomane d'une grande culture, Aliouat faisait partie aussi des formations musicales locales. Il n'a jamais postulé pour avoir un logement ou un lot de terrain, croyant que le jour où quelqu'un d'autre viendra le remplacer aux fonctions de directeur de l'établissement, cette Skikda qu'il aime tant, n'osera pas le chasser et qu'on offrira à sa petite famille au moins un toit décent. Elle n'a rien eu, et si lui, habite aujourd'hui chez sa seconde femme, ce qui ne nous regarde en rien, sa première épouse et sa fille devront incessamment remettre les clefs à la force publique et s'éclipser d'un lieu que Aliouat a bâti durant plus de trente années. La nouvelle de l'expulsion a d'ailleurs fait le tour de la ville et les commentaires, de colère, ne cessent de fuser. Normal, c'est au CEM Lamrani de Aliouat que le tout Skikda a été élevé et instruit. L'établissement est un pan d'une mémoire collective de la ville et c'est l'abnégation de A. Oudjani qui a donné tant d'aura aux lieux. Les gens souhaitent que la décision de justice soit momentanément suspendue le temps de trouver une issue honorable. Il s'agit du «Cheikh» et on lui doit au moins ça.