L'Etat de droit en Algérie ? Une vue de l'esprit, au regard de la réalité quotidienne et surtout un souhait pressant de millions de citoyens. Car au palmarès des tracasseries auxquelles ils sont confrontés tous les jours, celle d'avoir affaire à la justice est de loin la pire des appréhensions. Une crainte justifiée et face à laquelle les justiciables se sentent désarmés, démunis et pas du tout protégés contre les excès et les abus dont elle fait souvent preuve. Il en est ainsi du recours systématique à la détention préventive par le juge, alors que la loi a déterminé les conditions dans lesquelles il doit recourir à ce système de privation de liberté. Quand une proportion considérable de la population carcérale est constituée d'individus en attente de jugement – un tiers selon la Commission de protection des droits de l'homme, la moitié selon les différentes ligues – il y a de quoi être inquiet face à ce qui s'apparente beaucoup plus au règne de l'arbitraire qu'à celui de l'Etat de droit. La raison qui pourrait expliquer cet état de fait est sans doute l'incompétence souvent, mais aussi cette volonté à vouloir instrumentaliser la justice et les juges au profit d'intérêts politiques ou mafieux, de clans ou de personnes du pouvoir… Le président de l'APC de Zéralda en sait quelque chose, lui qui a vécu une arrestation dans des «conditions rocambolesques» et a été déféré devant le juge dans des circonstances qui ont laissé ses avocats perplexes, convaincus que l'affaire avait pris des proportions politiques à travers un acharnement judiciaire. Faut-il alors s'étonner du manque de confiance en la justice de la part des citoyens face aux violations des libertés et surtout du doute dans sa capacité à les rétablir dans leurs droits ? L'actualité nationale de ces dernières semaines, notamment à M'sila où des femmes vivant seules ont été la cible d'expéditions punitives menées par des exaltés misogynes, où la police a brillé par son absence sur les lieux et où le pire a été évité de justesse sans que le moindre juge n'ordonne une enquête par la suite. Tout comme on a vu avec quelle lenteur Mohamed Gharbi a été remis en liberté, en dépit de la forte mobilisation qui a entouré sa condamnation. Les mauvais traitements au cours des interpellations ou dans les commissariats de police et les gendarmeries restent souvent impunis, leurs auteurs aucunement inquiétés sauf quand il y a mort d'homme. Beaucoup de victimes de tortures hésitent à déposer plainte devant la justice par crainte de représailles. La résignation et le fatalisme prennent rapidement le dessus dans bon nombre de situations face à ce qui s'apparente à une véritable machination ou, au mieux, à une parodie de justice sans que cela n'émeuve le pouvoir politique qui ne se manifeste que lorsque les violations de droits de l'homme sont dénoncées par les Occidentaux et les organisations internationales.