Muni de son pot de miel, Seif Eddine Bouha, comédien au Théâtre régional de Skikda (TRS), se préparait, dans les coulisses, à monter sur scène pour interpréter le rôle de Bouguerra dans la pièce Aâm El Hbel (L'année de la corde) de Djamel Marir. Une pièce qui était en compétition officielle au sixième Festival national du théâtre professionnel (FNTP) qui a eu lieu du 24 mai au 7 juin 2011 au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA) à Alger. Nous l'avons rencontré et avons discuté sur le théâtre algérien et sur la manière de le rendre plus accessible au public en dehors des festivals et des rencontres professionnelles. - Bouguerra paraît un rôle assez difficile, vous ne trouvez pas ? Le goual est un personnage inspiré de notre patrimoine culturel. Par le passé, le goual racontait des histoires dans les marchés. Dans la pièce Aâm El Hbel, Bouguerra a décidé de ne pas raconter les légendes de loundja bent el ghoul, mais parler du vécu, de la vie de tous les jours. A sa manière, il voulait se rebeller contre l'ordre établi. Cela se passe dans une ville. Il y a dans cette trame de la fiction et de la réalité (…) Le gouvernant et ses partisans l'ont arrêté et l'ont condamné à mort. C'est un drame mis en scène dans une forme nouvelle. C'est un peu la halqa telle que développée par Abdelkader Alloula mais autrement montée. Il y a dans Aâm El Hbel, un regard nouveau dans la mise en scène théâtrale. Il y a de la hadra, le goual, un peu de soufisme. Sincèrement, et par expérience, tous les rôles sont difficiles à jouer au théâtre. Il n'y a pas de différence entre un rôle de dix secondes ou un autre de plusieurs minutes. Cela est surtout compliqué pour un artiste qui respecte son art. Le rôle de Bouguerra est composé. Chacun voit le personnage d'El goual à sa façon. Celui de Aâm El Hbel est contemporain, il est donc perçu différemment. Ce rôle m'a un peu fatigué, le metteur en scène Djamel Marir m'a beaucoup aidé. - Il paraît que vous avez commencé le théâtre à onze ans, c'est vrai ? Absolument. J'avais commencé avec les Scout musulmans algériens (SMA). Pendant des années, je n'ai pas quitté le théâtre scolaire. Après avoir quitté le lycée, j'ai rejoint les associations. A Batna, j'ai collaboré avec Al Forja puis je suis parti à Skikda en 1996 où j'ai travaillé avec l'Association des arts dramatiques et avec l'association Russicada des arts de la comédie. J'ai poursuivi deux ans d'études au conservatoire de musique, de danse et d'actorat à Skikda. En 2001, j'ai créé l'Association Essarkha (le cri) du théâtre à Skikda. - Avez-vous produit des pièces avec Essarkha ? Nous avons produit plusieurs pièces et nous continuons à produire. Djaziret hob (Île d'amour), Enddouarha rap, El Oud El Mensi, Parking des titres de pièces et des monologues que nous avons produits. Et depuis 2009, date de l'ouverture du Théâtre régional de Skikda (TRS), j'ai participé pratiquement à tous les travaux produits jusque-là. J'ai eu un rôle dans Asswar al madina (Les remparts de la ville) mise en scène par Sonia (directrice du TRS), dans Thawrat belahrach où j'ai campé le personnage du bey Othmane. J'ai également été assistant metteur en scène dans la pièce Alaâ Al dine oua el misbah esshiri (Aladin et la lampe merveilleuse). Interpréter des rôles ou mettre une scène une pièce sont des arts différents. La mise en scène est une conception générale du travail théâtral. Cela comprend le texte, la scénographie, le jeu d'acteur, la lumière, bref, tout. Même le public est un élément pris en compte par le metteur en scène. Le comédien se contente de se concentrer sur le personnage qu'il doit camper et sur les relations de ce personnage avec les autres, ceux qui seront sur scène. Le metteur en scène conçoit et le comédien exécute. - Et quelle appréciation faites-vous des pièces présentées au Festival national du théâtre professionnel ? J'ai l'impression que les metteurs en scène montent des pièces pour qu'elles soient vues uniquement par des gens du théâtre et pour qu'elles soient débattues par eux. Bref, un cercle fermé. Ils semblent avoir oublié le public. Un public qui a le droit de voir un spectacle, suivre une histoire, apprécier une esthétique. Y en a marre de la philosophie sur scène ! Parfois, ni les metteurs en scène ni les comédiens ne semblent comprendre le sujet qu'ils traitent. Alors comment le public peut-il saisir le sens ? Un véritable asile de fous !!! - Faut-il alors plus de comédie sur les planches ? C'est un choix ! Pas forcément la comédie. Il suffit de donner un fil à suivre pour qu'une tragédie, quelle que soit sa profondeur, peut être accessible aux spectateurs. Ils peuvent suivre et apprécier le jeu des comédiens, le sens de l'œuvre, la sensibilité du texte, les tableaux esthétique… Sans cela, on ne peut pas suivre le spectacle. - Le théâtre a-t-il un public ? Oui. Il y a un public pour le théâtre. Il est acquis. Il faut essayer de gagner d'autres spectateurs, élargir le cercle des amoureux de cet art. On ne va pas pour autant tomber dans la médiocrité en disant que le public a voulu ceci ou cela. Mais, il faut être à l'écoute de ce que veut le public. Pour qu'il se rapproche de nous, nous de lui.