L'écrivain algérien Mouloud Feraoun, assassiné en 1962, revient à la lumière avec un spectacle intitulé Le contraire de l'amour, monté à partir de son Journal. Avignon, (France) De notre envoyé spécial Le spectacle intitulé Le contraire de l'amour, de la Compagnie Passeurs de mémoires, est fidèlement inspiré du Journal, ouvrage posthume de Mouloud Feraoun. Entre 1955 à 1962, l'auteur du Fils du pauvre y a consigné chaque jour ses sentiments par rapport aux faits survenus dans le conflit algérien. L'évolution y est analysée sous la pertinence de son regard, et la clarté de sa plume. L'écrivain, assassiné le 15 mars 1962, en compagnie de plusieurs inspecteurs des centres sociaux, n'aura rien vu de l'Algérie indépendante. Cinquante ans plus tard, son Journal apparaît comme «une formidable leçon de courage intellectuel, un garde-fou face à la toute-puissance de l'irrationnel». Sa parole reste aujourd'hui encore, «irréductible à toutes les langues de bois d'où qu'elles viennent, dressée face à tous les silences, toutes les zones d'ombre qui pèsent encore», écrit Dominique Lurcel dans la présentation de l'adaptation qu'il met en scène. A l'issue du spectacle, il nous a assuré avoir travaillé sur «l'incarnation du texte. Il s'agissait d'incarner des moments du Journal, donner des moments d'émotion de chaque instant, souvent contradictoires. L'idée était de deviner, s'il écrit telle chose, pourquoi ça le touche». L'origine de cette production se trouve dans un spectacle précédent, Folies coloniales Algérie, année 30, sur le centenaire de l'Algérie française. «On l'a d'ailleurs joué à Alger en octobre dernier au CCF lors d‘une représentation bouleversante. Dans ma recherche de documents, puisque je voulais des textes authentiques, j'ai lu le Journal. J'ai adoré ce texte tout de suite. Cela m'a donné l'envie de traiter de la guerre d'indépendance». Un humaniste Pour lui, Feraoun «est d'une humanité profonde. Il est sans compromis… mais un doute profond l'anime. On le sent dans les dernières pages lorsqu'il écrit : j'aurais pu mourir depuis bientôt dix ans, dix fois, j'ai pu me mettre à l'abri pour continuer de regarder ceux qui meurent. Ceux qui ont souffert, ceux qui sont morts auraient pu dire des choses et des choses, mais j'ai voulu timidement en dire un peu à leur place».Pour Lurcel, «cette phrase donne des frissons, car elle révèle la culpabilité du survivant qui se dit que la seule chose qui reste à faire, c'est témoigner». Dans un premier temps, sous la houlette du théâtre de la Villette (Paris), Dominique Lurcel avait déjà supervisé des ateliers en 2009, avec des jeunes d'un lycée d'Aubervilliers. «Ils se sont impliqués, identifiés dans ces questions de rapport à l'autre dans lequel ils sont confrontés quotidiennement. Je me suis dit qu'il fallait faire entendre ce texte de façon plus large». Dans cette version professionnelle, Samuel Churin, qui jouait déjà dans Folies coloniales incarne avec passion le personnage, guidé par les transitions musicales émotionnelles du violoncelle de Marc Lauras. Avec le comédien, «il y a une circulation d'idées, de sensations entre nous», ajoute le metteur en scène : «On a discuté, je lui ai donné quelques pistes. Il a une grande intelligence du texte et, en plus, c'est un militant. C'est un comédien réputé, toujours en tournée, mais je ne l'ai jamais vu défendre autant un spectacle. C'est très émouvant. Il est totalement impliqué. Ce travail me comble». Bien accueilli à Avignon, il sera en tournée à partir de la rentrée de septembre. En février prochain, à quelques jours du cinquantième anniversaire de la mort de Feraoun et de la fin de la guerre d'Algérie, il sera donné à Paris, au théâtre de l'Odéon, dans la grande salle. Au printemps, il devrait faire plusieurs dates en Algérie, à l'invitation des Centres culturels français. Nous aurons donc l'occasion d'en reparler.