Le pont scintille mystérieusement au-dessus des profondeurs glauques et sombres du Rhummel, véritable île magique qui semble jaillir de nulle part, dans une cascade de couleurs féériques. A peine le jeûne rompu, que tout le monde ou presque s'empresse de fuir la fournaise des appartements. C'est une marée humaine qui déferle sur le centre-ville. Les principales artères sont investies par une foule en quête d'un peu de fraîcheur. En vérité, c'est une affluence record enregistrée depuis le début du mois sacré. Des promeneurs nocturnes, solitaires ou en famille, longent l'avenue Rabah Bitat (ex-avenue de la République), alors que d'autres arrivent du côté du Ciloc (rue Brahim Belazreg) à petits pas, pour converger vers la place Amirouche, communément appelée la Pyramide. Les uns se dirigent vers le boulevard Belouizdad et les autres empruntent la rue Abane Ramdane. Où que l'œil se tourne, la circulation, aussi bien automobile que piétonne, est à couper au couteau. De longues files de voitures se forment de toutes parts. Fait insolite : toute la partie gazonnée et plantée d'arbustes séparant les allées Benboulaïd jusqu'à la place du 1er Novembre, est squattée par des jeunes. Ils sont vautrés sur l'herbe, fumant, discutant, sirotant un thé ou dégustant quelque chose. «Nous n'avons pas où aller, et puis on est trop fauchés pour s'attabler et prendre des glaces», lance un jeune à l'adresse de quelques passants à la mine étonnée. Le parvis du théâtre est, lui aussi, réquisitionné par des dizaines de badauds. Leur bourdonnement est perçu à des lieux à la ronde. La foule continue, à perte de vue, ondulant, plus que marchant, vers le boulevard de l'Abîme. Là, tout le parapet est occupé par de régulières grappes humaines et ce, jusqu'au pont suspendu (Sidi M'cid). Le long du chemin, l'on peut aussi apercevoir des jeunes s'adonner, juste à la lumière du réverbère, à des parties de cartes. D'autres jeunes, s'improvisant vendeurs de thé pour la circonstance, théières et gobelets en carton à la main, sillonnent le boulevard, proposant sans relâche un thé à la menthe corsé à donner de mémorables insomnies. Ce qui d'ailleurs n'est pas pour déplaire à tout ce monde, lequel ne se prive pas d'en prendre à volonté. La procession de voitures et de piétons se poursuit jusqu'à l'entrée du pont suspendu. Un extraordinaire besoin de s'éclater, de faire la fête Comment ne pas succomber à l'attraction de cette véritable île magique, qui semble jaillir de nulle part, dans une cascade de couleurs féeriques ? Le pont scintille mystérieusement au-dessus des profondeurs glauques et sombres du Rhummel grâce à une nouvelle technique de lumière et émission de diodes (à base de Led). Le principe est de dessiner le relief d'une œuvre architecturale en lui donnant un contraste, ombre et lumière, comme le ferait la palette d'un peintre pour un clair obscur, en partant des couleurs primaires pour aboutir aux tons les plus variés. La foule, qu'on qualifierait presque de somnambule, irrésistiblement attirée vers cette fabuleuse phosphorescence, comme par le joueur de flûte de Hamelin, continue d'avancer. Une circulation automobile imprudente, trop importante, génère un dangereux bouchon au milieu du pont… Malgré la solidité de l'ouvrage, l'on frissonne tout de même en pensant à tout ce poids que celui-ci doit supporter… A la sortie, les gens s'amassent par groupes le long du parapet qui arrive à proximité du CHU Benbadis. C'est désormais l'endroit de prédilection de bon nombre de familles constantinoises. L'on discute à bâtons rompus, tout en jouissant du panorama qu'offrent à la fois le Monument aux morts, tout aussi illuminé, et le pont Sidi M'cid. Il faut relever que les riverains s'inventent des lieux de détente face à l'indigence navrante en espaces de loisirs dont pâtit la ville du Vieux Rocher. L'on sent tout de même que cette population est frustrée et qu'elle éprouve un extraordinaire besoin de s'éclater, de faire la fête… Elle en est juste aux déambulations ! L'activité culturelle s'est également considérablement réduite par rapport à toutes les manifestations organisées avant le Ramadhan. Il reste les commerces, surtout ceux du prêt-à-porter, qui sont d'ores et déjà ouverts et prêts à donner le coup de grâce pour l'Aïd. Il ne faut pas non plus omettre les marchands de brochettes autoproclamés, qui prolifèrent un peu partout, notamment au niveau des grands ensembles urbains, en l'absence du moindre contrôle sanitaire. En somme, Constantine vit son Ramadhan comme elle peut…