La presse arabe n'a pas été à la hauteur des événements qui ont marqué la région depuis janvier 2011. Elle n'a pas rempli sa mission. La majorité des quotidiens algériens nient les réalités sur le terrain. Des journaux excellent dans la propagande. Ils mettent constamment en relief la théorie du complot pour décrédibiliser les révolutions ayant eu lieu en Tunisie et en Egypte, et actuellement en Libye, au Yémen et en Syrie. Les meurtres signés Bachar Al Assad sont occultés par les médias traditionnels, dont l'ENTV. Ce sont là autant de remarques soutenues lors d'une table ronde sur le thème «Les révolutions et les médias arabes» organisée au siège de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), dans la soirée de vendredi dernier. Deux invités ont animé la rencontre : Mostefa Hemissi, chroniqueur au quotidien arabophone El Khabar, et Redouane Boudjemaâ, ancien journaliste et enseignant en communication à l'ITFC. Au cours de ces révolutions, analyse M. Hemissi, deux profils de la presse se sont affrontés : «Le premier dénonçant l'Occident d'avoir soutenu les dictateurs qui oppriment et assassinent les civils. Le deuxième a évoqué la théorie du complot. Cette dernière avance l'hypothèse selon laquelle l'Occident est le manipulateur des révolutions dans le monde arabe.» De plus, «la couverture des événements a été assurée d'une manière professionnelle par trois chaînes de télévision : Al Jazeera, Al Arabya et France 24. Ces chaînes ont donné un côté spectacle aux révoltes. L'information était diffusée en continu. Les événements étaient retransmis en direct. Les sociétés arabes ont été solidaires avec ces révolutions, car sensibilisées quotidiennement», décrypte Mostefa Hemissi. Cependant, a-t-il ajouté, «l'orientation de ces trois chaînes suscite un autre débat. A titre d'exemple, la contestation au Bahreïn n'a pas été fidèlement rapportée». Hormis les analyses, la presse écrite arabe n'a pas créé d'impact au sein des populations. «Si l'on évoque la presse écrite algérienne, elle n'a pas pu couvrir tant de situations par manque de moyens financiers», souligne M. Hemissi. Dans l'assistance, un participant a affirmé que «de toute manière, même si la presse écrite avait la logistique pour couvrir les événements, la masse des citoyens n'attendrait pas le lendemain pour recevoir l'information. Il suffit au téléspectateur de zapper pour faire un tour d'horizon». Par ailleurs, le chroniqueur estime qu'«au cours de ces événements, la presse arabe n'a pas inventé les termes qu'elle a utilisés». «Le printemps arabe» rappelle pour lui le «printemps de Prague». «La Révolution du jasmin» est une expression empruntée aux médias français. «Autant dire que la presse arabe n'a fait qu'importer un lexique pour définir la révolte de ses propres sociétés. Nous avons utilisé ces termes mécaniquement», a-t-il soutenu. S'agissant des luttes pour la liberté d'expression en Algérie, M. Hemissi est catégorique : «Le pouvoir actuel ne peut pas nous guider vers la démocratie. Le pouvoir en place est archaïque et bafoue toutes les libertés. Le régime est de type néocolonial. Je ne veux pas que le pouvoir apporte des changements, je veux qu'il parte. Le pire crime des dictatures n'est pas l'oppression, mais la privation de débats.» Le mur de la peur brisé Le chroniqueur d'El Khabar pense par ailleurs que «la révolution se répercute sur la société et sur les médias. Jusque-là, je ne pense pas que nous ayons assisté à des révolutions, ce sont en réalité des faits révolutionnaires. En Tunisie et en Egypte, des piliers des dictatures de Ben Ali et de Moubarak sont toujours en place». Révolution accomplie ou pas, couverture médiatique bien assurée ou à moitié, pour M. Bouchachi, président de la LADDH, «l'essentiel est la chute du mur de la peur en Tunisie et en Egypte, et bientôt au Yémen et en Syrie. En Algérie, les jeunes doivent continuer à lutter contre l'oppression, l'injustice, la corruption et le totalitarisme du pouvoir. Dans l'esprit de la Ligue, ce qui s'est passé en 2011 n'a pas eu lieu depuis 14 siècles. Le fait révolutionnaire a été provoqué en raison de la persistance de la corruption, de l'injustice et de l'oppression. Les jeunes ont utilisé des médias parallèles, tels que facebook et Twitter. Ces deux portails web ont constitué une plate-forme de communication entre eux pour s'organiser. Les scènes filmées avec des téléphones portables ont beaucoup alimenté les chaînes de télévision. Les jeunes, sur les lieux de la révolte, sont devenus une source d'information». Enfin, Redouane Boudjemaâ s'est longuement étalé sur l'état de la presse algérienne. Il pense qu'«une véritable crise gangrène la profession, avec l'infiltration dans le secteur d'industriels et des barons financiers».