Assis sur un tronc d'arbre sur le bord de l'oued Sébaou, Ahmed, un quinquagénaire habitant le village de Sikh Oumeddour (10 km à l'est de Tizi Ouzou), surveille, distrait, ses quatre cannes à pêche qu'il a confectionnées à la main. Son fils de 15 ans se débat, lui et ses amis, avec de grosses pierres pour frayer un chemin aux camionneurs auxquels ils vendent illicitement du sable. En l'absence d'autres perspectives, l'extraction du sable demeure leur seule source de revenus, disent-ils. A une cinquantaine de mètres de cet endroit, un tracteur disparaît rapidement au milieu des bois après avoir déversé dans l'oued un chargement de déchets ménagers. Des cimetières pour déchets ferreux En face, trois pylônes électriques de haute tension et un forage d'eau menacent de tomber dans l'oued. Le mur de gabions qui les supporte a cédé depuis longtemps à cause de l'extraction sauvage du sable. La présence d'une pelleteuse mécanique, qui a dévoré une grande partie d'un terrain agricole, témoigne du massacre qui touche l'oued Sébaou depuis près de 30 ans. Au dessus d'une dizaine de blocs de ciment, abandonnés depuis des lustres, des écoliers jouent aux cartes. Ils guettent le moindre mouvement des pollueurs qui se débarrassent de leurs déchets de construction à n'importe quel endroit. L'odeur nauséabonde qui se dégage d'une décharge d'œufs et de poulets en décomposition rend l'air irrespirable. Des espaces immenses sont transformés en cimetières pour les déchets ferreux. Des milliers d'olives vertes impropres à la consommation flottent sur la surface des eaux de l'oued. Elles sont emportées par les petits cours d'eau qui remontent jusqu'à Tala Amara à Tizi Rached. Cette eau noire de margine a emporté des restes d'animaux morts. Des éleveurs de bétail de la région les ont jetés sous les ponts au lieu de les enterrer, dit Ahmed. Ce retraité de l'Eniem déclare qu'il est contraint d'abandonner la pêche jusqu'à l'hiver prochain, car l'oued est presque asséché. Les espèces de poissons qui y vivent « se noient » à cause de la pollution. Ces carpes et anguilles, dont le poids atteint parfois les deux kilos et que Ahmed a attrapées, portent en elles les signes d'une catastrophe écologique passée sous silence depuis des années. Quelques kilomètres en amont, dans un endroit difficilement accessible et loin des regards curieux, une ancienne carrière d'agrégats continue à attirer les pilleurs de sable. Deux jeunes, armés d'une brouette, ramassent des plaques de polyester pour une entreprise spécialisée en recyclage. Environnement et… mises en demeure Derrière eux, une fumée monte des restes d'une immense décharge qui aurait été créée, selon certaines informations, par une entreprise publique locale. Les camions appartenant à cette entreprise renseignent sur l'origine de ces produits non dégradables qui sont jetés tous les jours aux abords de l'oued. A Taboukert, le marché hebdomadaire qui a été implanté par la commune de Tizi Rached, sur le lit de l'oued, offre l'image d'un paysage désolant. Des sachets en plastique, des produits agroalimentaires périmés avec leurs emballages écument les lieux. Des sacs de ciment et de plâtre qui sont abandonnés sur place empêchent toute forme de vie. Les propriétaires des huileries ne se gênent aucunement de décharger des camions de grignon d'olive que les dernières crues d'avant l'été n'ont pas réussi à charrier. Les propriétaires des poulaillers contribuent aussi à ce massacre qui touche l'environnement. Les collines de terre qui se sont formées en contrebas du marché n'ont pas réussi à cacher cette décharge à ciel ouvert. La commune de Tizi Rached a aussi transformé un grand espace dans l'oued Sébaou en décharge sauvage, au vu et au su des responsables concernés de l'hydraulique et de l'environnement. Le directeur de wilaya de l'environnement affirme que la commune de Tizi Rached a été mise en demeure à plusieurs reprises, en vain. Les huiles et autres produits chimiques qui proviennent des stations de lavage de véhicules, installées à différents endroits de la RN 12, sont déversés eux aussi dans le Sébaou. Les eaux usées aggravent davantage la situation. Au niveau du pont de Boubhir, reliant Azazga à Bouzeguène, les ordures ménagères et autres détritus agressent la vue. Le projet de réalisation d'une décharge intercommunale réglementée attend d'être concrétisé depuis fort longtemps. L'oued Sébaou n'est toutefois pas le seul à subir le pillage de son sable et à être le réceptacle de toutes sortes de déchets. D'autres cours d'eau d'où s'alimentent plus de 80% des habitants de la wilaya de Tizi Ouzou sont devenus le carrefour des pilleurs et des pollueurs, des zones de non-droit. A Illilten, dans la daïra d'Iferhounène, les eaux usées de plusieurs villages finissent dans un oued aussi bien que les ordures ménagères qui pullulent près d'une école primaire du chef-lieu de la commune. Une décharge devait être réalisée dans cette région collée au grand Djurdjura. Incivisme Aux Ouadhias, l'air devient irrespirable à cause des eaux usées qui convergent dans un cours d'eau situé à proximité des habitations. C'est le cas aussi à Djemaâ Sahardij dans la daïra de Mekla. Les citoyens de ce grand village collaborent quotidiennement à la dégradation de l'oued. En amont du barrage de Taksebt, le pillage de sable a levé toute protection des nappes phréatiques qui se remplissent avec les eaux usées. Les forages d'où s'alimentent les stations de Beni Douala ont d'ailleurs été contaminés par ces eaux de mauvaise qualité, apprend-on de certaines sources. Pour éviter le pire, il avait fallu faire baisser le niveau du barrage de Taksebt de plus d'un mètre. Sur la RN30 bordant ce barrage, les poubelles s'entassent pendant plusieurs jours pour être brûlées par la suite au lieu d'être ramassées par les services concernés. Nos sources ajoutent que des camions ont fourni du sable en grandes quantités pour protéger les forages où les pilleurs n'hésitent pas à sévir. Aux Ouacifs, les marchands de fruits et légumes, les propriétaires de magasins et les entrepreneurs n'ont épargné aucun espace de l'oued. Les bassins de décantation étant inopérants, l'oued qui traverse la ville est devenu un lieu mortuaire des espèces vivantes. Sans oublier les odeurs nauséabondes qui s'y dégagent et la triste image qui s'offre au visiteur. Oued Aïssi n'échappe pas à l'inconscience de certains entrepreneurs qui jettent les rejets de plâtre sur des superficies à perte de vue. L'administration, à tous les niveaux, est responsable de cette situation qui présente une sérieuse menace sur la santé publique. Le faible taux d'assainissement dans certaines localités de la wilaya de Tizi Ouzou favorise en partie la dégradation de l'environnement et la pollution des oueds.