C'est une belle confusion qu'on observe depuis quelques jours en Libye. Que ce soit sur le terrain des opérations ou sur celui des tractations en coulisses, les échos en provenance de Tripoli, Tunis et Zawiyah sont contradictoires selon la partie qui les distille. Hier encore, les rebelles libyens estimaient être «dans une phase décisive» après des «succès» militaires contre les troupes de Mouammar El Gueddafi dans plusieurs villes-clés, au prix de pertes importantes. Faux, répondait le porte-parole du gouvernement à Tripoli, qui évoquait plutôt un «contrôle total» de Zawiyah et de Sorman par l'armée fidèle au guide. Mais c'est connu, la propagande est une arme redoutable en pareilles circonstances. Alors que les rebelles se trouvent à quelques kilomètres seulement du bunker de Bab Al Azizia, le régime serait tenté de manipuler l'opinion sur un succès virtuel. Preuve de la panique qui s'est emparée du clan d'El Gueddafi, son appel lundi au peuple «libyen pour s'armer contre les traîtres». Il y a aussi ce recours inédit et au lancement d'un missile (Scud) contre les positions des rebelles qui traduit tout le désespoir d'un colonel qui ne maîtrise plus ses troupes, et pire encore, qui cherchent sa tête à tout prix. Est-ce pour autant l'automne du patriarche libyen ? A Washington, on ne se fait plus trop d'illusion même si l'Administration Obama s'est déjà lourdement trompée sur les capacités de résistance d'El Gueddafi. «Il devient de plus en plus clair que les jours d'El Gueddafi sont comptés, que son isolement est de plus en plus important chaque jour», a déclaré lundi soir le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney. Hillary Clinton avait dit la même chose en juin et juillet derniers… Bruits et chuchotements à Djerba Mais cette fois, les Américains semblent un peu plus sûrs de la fin imminente du guide. Les membres du Conseil national de transition (CNT) n'en pensent pas moins. «Nous entrons dans une phase décisive, bientôt nous libérerons tout le sud de la Libye. Nous espérons fêter la victoire finale en même temps que la fin du Ramadhan», a déclaré hier Mansour Saïf Al Nasr, représentant en France du Conseil national de transition libyen (CNT). Et de préciser avec beaucoup d'assurance que «nos forces contrôlent totalement Zawiyah, qui ouvrira la porte vers Tripoli. Ceci permettra à la population de s'y révolter». «La population à l'intérieur de Tripoli prépare ce soulèvement», a-t-il ajouté, assurant que les conditions de son succès étaient réunies : les pro-Gueddafi «n'ont pas de forces aériennes, pas de chars et nos forces sont à l'entrée de Tripoli». La voie royale vers Tripoli Les rebelles avaient annoncé lundi contrôler la «majeure partie» de Zawiyah, à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de Tripoli, ainsi que les villes de Gharyane et Sorman, situées respectivement à 50 km au sud et à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de la capitale libyenne. Une victoire militaire, certes pas totale, mais qui permet aussi aux rebelles de contrôler un segment de la route côtière et de couper la ligne d'approvisionnement entre la Tunisie et Tripoli, essentielle pour la capitale et pour le régime de Mouammar El Gueddafi. Et dans cette cacophonie ambiante, Mohammed El Senoussi, le prince héritier de Libye, en exil au Royaume-Uni, a glissé hier son grain de sel en avançant la chute pour «bientôt» d'El Gueddafi. Dans un texte publié hier sur son site internet, le prince héritier a rendu hommage aux combattants rebelles. «Ils sont des patriotes. Ils sont des héros. Ils sont le vrai peuple libyen», écrit le petit-neveu du roi Idriss, renversé en 1969 par le colonel El Gueddafi, appelant à continuer la lutte «pour une société nouvelle qui donne la priorité aux libertés et aux droits du peuple». Et alors que les informations se contredisent sur le front des opérations, une belle polémique a éclaté depuis deux jours quand à la réalité de négociations entre délégués du CNT et représentants d'El Gueddafi dans un hôtel à Djerba. Si les deux camps démentent catégoriquement ces pourparlers, l'envoyé spécial de l'ONU s'est laissé aller à la confidence… Et à bien y réfléchir, la fuite lundi du vice-ministre libyen de l'Intérieur, Nacer Mabrouk Abdellah, vers l'Egypte «avec famille et bagages», prouve qu'El Gueddafi est désormais un homme seul. Ou presque. De là à trancher qu'il sera «cueilli» dans quelques jours, il n'y a un pas que d'aucuns ont allégrement franchi.