Dans cet entretien, le nouvel ambassadeur des Etats-Unis aborde la coopération bilatérale, le processus de réformes politiques engagées en Algérie, les soulèvements populaires pour la démocratie et les placements algériens dans son pays. - Vous venez de prendre vos fonctions en Algérie. Quelles sont les priorités de votre mission ? Il s'agit de trois priorités. D'abord, nous souhaitons renforcer notre coopération avec le gouvernement algérien dans le domaine sécuritaire. Vous n'êtes pas sans savoir que la coopération est déjà très bonne dans ce domaine et nous voulons la renforcer davantage. Le deuxième axe prioritaire concerne le renforcement de nos échanges commerciaux. Nous constatons qu'il existe de fortes possibilités d'échange avec l'Algérie et notamment avec nos partenaires commerciaux, nous souhaitons que cela continue et surtout en dehors du secteur des hydrocarbures. Par exemple, nous constatons qu'il existe des opportunités importantes de coopération dans le domaine agricole et notamment l'exportation des produits algériens. Nous travaillons sur le sujet avec les ministères concernés dans les deux pays. En troisième lieu, et c'est peut-être le plus important à mon avis, nous voulons construire des liens entre les représentants du peuple américain que nous sommes et le peuple algérien. D'où, d'ailleurs, la série d'entretiens que j'ai décidé d'accorder à la presse algérienne, mais aussi à travers la création de passerelles avec les organisations non gouvernementales. - L'Algérie et les Etats-Unis ont connu, ces dernières années, un rapprochement important en matière de lutte contre le terrorisme. Quelle est la nature de ce rapprochement et pourquoi cet priorité accordée à ce volet de coopération ? Personnellement, j'estime que la priorité de tout Etat est de garantir la sécurité à ses citoyens. Ma première responsabilité en tant qu'ambassadeur est de garantir la sécurité des citoyens américains en dehors et à l'intérieur des Etats-Unis. Je pense que les Etats-Unis et le gouvernement algérien ont la même préoccupation et c'est sur cette base-là que nous travaillons ensemble pour garantir cette sécurité pour nos deux peuples et Etats. - Que pensez-vous de la lutte antiterroriste en Algérie ? Du point de vue de la lutte contre le terrorisme, il est utile de signaler une amélioration de la situation sécuritaire en Algérie mais aussi saluer sa coopération avec ses pays voisins dans le domaine sécuritaire. J'estime qu'il existe beaucoup d'autres potentialités de coopération entre l'Algérie et les Etats-Unis dans ce domaine, notamment à travers l'échange de renseignements et l'expérience de chacun et ce pour le bien des deux pays. - Cette solide coopération antiterroriste ne risque-t-elle pas de reléguer au second plan les avancées démocratiques ? D'habitude, la question de la sécurité de l'Etat et des citoyens est du seul ressort de l'Etat et du gouvernement. De manière générale, nous allons concentrer notre coopération dans ce domaine avec le gouvernement algérien, mais si des avis et idées sont exprimés par les deux peuples sur cette question, nous souhaitons les écouter, et en particulier lorsqu'il s'agit de sécurité et de droits de l'homme. - Est-ce à dire que les Etats-Unis seront plus regardants sur la question du respect des droits de l'homme ? Je préfère utiliser le mot coopération. La base pour garantir une sécurité effective commence par la préservation des droits des citoyens. De ce fait, nous nous devons d'être attentifs à la situation des droits de l'homme tout en prenant en considération les paramètres sécuritaires. Il existe un lien étroit entre la question des droits de l'homme et la sécurité. Le peuple algérien, tout comme le peuple américain, a le droit d'exprimer son avis sur la situation sécuritaire et le respect des droits de l'homme. - Le 24 février dernier, William Burns en visite à Alger avait dit ceci : «Nous souhaitons que la réponse aux aspirations populaires soit la plus ouverte, la plus sérieuse, la plus claire et le plus tôt possible». Pensez-vous que ce soit le cas en Algérie, sept mois après ? C'est une question qui doit être posée au peuple algérien avant tout. Cela dépend des liens qu'entretient le peuple avec son gouvernement. Je constate la mise en marche d'un processus de réformes entrepris par le gouvernement, et j'estime qu'il serait très utile que le peuple algérien participe à ce processus. Les citoyens doivent de ce fait continuer à exprimer leurs avis et faire des propositions au gouvernement. Je pense que ces réformes peuvent répondre aux attentes des citoyens pour le changement. - Quelle est votre perception sur les réformes annoncées ? L'opposition est en droit d'exprimer son avis. Quant à nous, en tant qu'observateurs, et moi personnellement, je pense que ce processus de réformes offre des possibilités importantes, mais je crois que si on veut qu'une réforme réussisse elle doit impérativement associer le peuple comme partenaire. - Ce que WikiLeaks a dévoilé est très révélateur sur la réalité des régimes arabes. Comment expliquez-vous qu'en connaissant ces régimes, ce n'est qu'après le soulèvement des populations que l'Administration américaine a marqué sa distance avec certains régimes arabes et pas avec d'autres ? Bonne question. Comme je l'ai dit avant, en tant qu'Etat et Administration nous soutenons les efforts de paix et de stabilité dans toutes les régions du monde. Et parfois, il arrive bien sûr que nous travaillions ou coopérions avec des régimes non démocratiques. Nous reconnaissons que la source d'une réelle stabilité pour le long terme réside sans conteste dans l'instauration de systèmes démocratiques, et ce, dans tous les pays du monde. Il est vrai qu'il y a une différence entre la stabilité à court terme et la stabilité à long terme, comme il existe aussi une différence entre nos intérêts pour le court terme et le long terme. Et c'est sur cette base qu'il arrive que nous travaillions avec des régimes et gouvernements existants et qui sont non démocratiques, même si dans le principe nous préférons avoir affaire à des systèmes démocratiques qui sont pour nous la véritable source de stabilité. C'est pour cela que lorsque nous enregistrons une opportunité de changement d'un régime non démocratique vers une réelle démocratie, nous la saisissons pour soutenir cette démocratisation. Ceci explique le changement de notre position envers certains régimes comme c'est le cas en Libye, en Tunisie et en Egypte. La secrétaire d'Etat Hillary Clinton avait d'ailleurs reconnu, dans une de ses déclarations, que nous avons fait des erreurs en soutenons certains régimes non démocratiques parce que nous pensions que ces régimes pouvaient garantir une stabilité dans la région pour le long terme. Aujourd'hui, nous reconnaissons cette erreur, et soutenons que la démocratie est la seule garante de la stabilité. Nous nous engageons à travailler pour l'édification de la démocratie dans la région et dans le monde de manière générale. - La politique américaine opère au cas par cas… Absolument, nos positions et nos actions dépendent de la situation qui prévaut actuellement. Nous évaluons et analysons la situation à l'heure actuelle et faisons des projections sur l'avenir. - La leçon à retenir des soulèvements arabes est celle que les peuples demeurent et les régimes s'en vont. Jusqu'où iront les Etats-Unis dans leur soutien aux acteurs réclamant un changement démocratique ? Nous souhaitons et œuvrons pour le renforcement de nos liens et contacts avec les organisations non gouvernementales, avec la société de manière générale et avec les personnalités importantes dans la société. Dans chaque société, il existe des individus et leaders qui jouissent de la confiance du peuple et c'est avec eux que nous voulons avoir des liens et des contacts en plus de nos rapports officiels avec le gouvernement. Nous estimons que nous pouvons mener à bien notre soutien à l'œuvre démocratique en ayant des liens dans chaque pays avec la société et pas seulement avec les gouvernants. Vous pouvez constater cela en Egypte actuellement et surtout en Tunisie. Personnellement, je m'engage à consacrer le plus grand de mon temps aux organisations non gouvernementales et à la société civile. - Que pensez-vous de la polémique suscitée par le maintien des bons du Trésor algérien aux Etats-Unis ? (Rires) Je vous dis sincèrement que tous les fonds algériens placés aux Etats-Unis sont en sécurité. Il n'y a aucune raison de dire que les Etats-Unis, comme gouvernement, société et système économique, soient touchés par la faillite. Il est étonnant d'entendre certains analystes le dire. Malgré toutes les baisses enregistrées dans les bourses et la crise financière, la vérité est qu'il y a toujours des ressources financières étrangères qui arrivent aux Etats-Unis et notamment des bons du Trésor gouvernementaux.