- Le débat fait rage actuellement à propos des incertitudes qui entourent les placements de l'Algérie à l'étranger. Ne pensez-vous pas qu'on devrait ouvrir le débat sur l'ensemble des placements de l'Algérie, que ce soit en Europe ou aux USA, en titres souverains ou dans les banques ? L'Algérie détient une partie infime des bons du Trésor américain, la Chine est le pays qui a le plus investi ses réserves de changes dans cet actif, car c'est le seul qui offre une profondeur de marché assez large et un risque très faible pour absorber les énormes réserves que le pays a accumulées. Je continue à dire que ce placement est certainement le plus sûr, mais pas nécessairement le plus rentable ni financièrement ni économiquement. Le fait que nous ayons investi une partie de nos réserves en bons du Trésor américain est assez normal, cela participe à une logique de portefeuille avec une partie investie dans ce qui est considéré comme l'actif sans risque. Mais le problème, comme vous l'indiquez, est qu'on ne connaît pas la composition du portefeuille dans lequel l'Etat a placé nos réserves. Le débat sur les réserves n'a pour moi pas encore abordé les questions les plus importantes comme la logique économique qui guide le fait de surexploiter nos ressources énergétiques pour disposer de réserves quasi oisives et, anticipant votre prochaine question, dont le rendement réel est négatif. Une question s'impose : l'Algérie n'aurait-elle pas plus intérêt à profiter de la crise actuelle pour saisir de grandes opportunités d'investissements stratégiques pour son développement ? En matière d'investissement, tout est question d'opportunités mais surtout d'arbitrage. En effet, notre pays devrait profiter de la crise pour s'industrialiser et j'irais même plus loin en ajoutant que si elle ne le fait pas, à l'avenir, son économie en subira les conséquences désastreuses. Je peux admettre que la mémoire d'une Algérie en cessation de paiement puisse complètement inhiber l'action du gouvernement en matière de gestion des réserves de changes du pays mais je n'arrive pas à comprendre l'interdiction imposée aux entreprises privées algériennes d'aller à l'assaut de ces rares opportunités d'investissement à l'étranger. - La sécurité qu'offrent les titres souverains américains ne protège pas le capital placé de l'érosion induite par l'inflation… Je viens d'y répondre en partie. En effet, l'inflation dont vous parlez a deux composantes. La première est interne, puisque la politique récente du gouvernement va créer une inflation sans précédent. Nous n'avons pas de stratégie économique, et le corollaire est une utilisation de nos réserves dans une pure logique de dépenses, sans réformes économiques et institutionnelles à même de stimuler une offre pouvant répondre à la hausse de la demande à la fois de l'Etat mais également des ménages provoquée par la distribution effrénée de la rente à laquelle nous avons assisté ces derniers mois. La seconde est externe : l'Europe et les Etats-Unis, étouffés par la dette, vont devoir injecter d'énormes liquidités dans leurs économies afin d'éviter un effondrement du système. Cela reviendra à créer de l'inflation pour réduire le poids réel de leurs dettes. - Croyez-vous que l'inflation risque de rogner les capacités financières de l'Algérie, laquelle exporte en dollars et importe en euros ? Oui, pour compléter ce que je viens d'indiquer, nous importons en effet en euros et nos revenus sont en dollars. Le coût de nos exportations va croître considérablement, celui de la dépense publique également, avec des revenus pétroliers qui devraient stagner en termes nominaux mais surtout chuter en termes réels. - En analysant les indicateurs de valeurs cycliques sur les marchés financiers, croyez-vous que la crise actuelle soit conjoncturelle ou structurelle ? La crise actuelle est sans précédent, et nous n'avons pas encore fini d'en mesurer l'ampleur. La crise de la dette est structurelle, les pays occidentaux vont mettre plusieurs années pour réduire leurs déficits et ramener leurs dettes à des niveaux acceptables. Aujourd'hui, personne ne peut prédire avec certitude quelle sera l'ampleur des dégâts qu'engendrera cette crise qui ne fait que commencer. Ceci dit, je peux vous assurer que le pire est à venir et que, malheureusement, il n'existe pas de solution miracle. - Vous pensez que la crise risque encore de s'aggraver. Qu'est-ce que cela induira aussi bien pour l'économie mondiale que pour l'Algérie ? Nous ne sommes qu'au début du second pic de la crise. Les gouvernements des pays occidentaux n'ont plus de marge de manœuvre budgétaire, et nous ne sommes pas à l'abri de défaut de paiement ou de restructuration des dettes de certains pays. Qui plus est, le ralentissement de l'économie américaine devrait s'aggraver et contribuer significativement à la contraction de l'activité au niveau mondial. Les pays émergents s'en trouveront inévitablement impactés, notamment ceux dont la croissance repose fortement sur les exportations d'hydrocarbures. En ce qui concerne l'Algérie, je pense que l'accumulation de réserves de changes devrait se ralentir en conséquence, et que nous allons souffrir d'une très forte inflation importée. La réduction du pouvoir d'achat des ménages va peser fortement sur un contexte social qui n'est déjà pas très rose. Je ne vais pas m'improviser devin, mais je ne vois rien de bon dans ce qui attend l'Algérie dans l'avenir. - Vous préconisez de faire usage des réserves dont dispose l'Algérie pour impulser le développement économique, alors que les fonds mobilisés jusqu'à présent à cette fin démontrent qu'il faut rechercher un nouveau modèle de croissance… Oui, vous avez parfaitement raison, il y a un contraste saisissant, depuis le début des années 2000 entre d'un côté la croissance des revenus tirés des hydrocarbures et celle de nos réserves de changes, et de l'autre la dégradation spectaculaire du climat social et la paupérisation d'une frange plus importante de la société. Malgré les dizaines de milliards de dollars dépensés, l'économie algérienne n'arrive pas à décoller. Aussi, je peux vous affirmer que l'on aurait beau injecter encore des centaines de milliards de dollars, l'Algérie ne se développera pas pour autant. Je ne crois pas aux capacités de développement de notre pays dans l'état actuel de l'organisation de notre société. L'histoire récente nous a apporté une preuve empirique. - Vous plaidez également pour la création d'un fonds souverain afin d'investir ces fonds dans l'acquisition de parts dans le capital d'entreprises étrangères. Etes-vous de ceux qui pensent que les compétences manquent pour une telle entreprise ? Dans l'absolu, oui, l'Algérie devrait se doter d'un fonds souverain, mais sans une véritable stratégie économique dans laquelle la création de ce fonds serait inscrite, je crois que cela ne serait qu'un échec de plus. Ce ne sont pas les compétences qui manquent, loin de là, et c'est bien plus qu'un problème de transparence de la gestion des deniers publics, même si celle-ci fait cruellement défaut et se trouve être un véritable obstacle à notre développement. Le processus du développement économique est très complexe, il n'y a pas de recette miracle à appliquer, et il y a un facteur psychologique très important. Dans le cas de l'Algérie, cette observation s'applique parfaitement. Nous devons opérer un virage à 180 degrés dans l'organisation de notre société, avec une réforme institutionnelle profonde, notamment de la gouvernance. Nous avons l'illusion d'être dans une sorte de statu quo, sur tous les plans, économique, politique et culturel, mais en réalité nous sommes en train de dériver, sans même nous rendre compte que le bord du précipice n'est plus très loin. Nous avons besoin d'un véritable électrochoc, faute de quoi, en tant que financier, je ne parierai pas un dollar sur notre avenir.