Pour la première fois de l'histoire des Etats-Unis, le 5 août 2011, la Standard & Poor's dégrade la dette souveraine américaine qui perd son triple AAA à AA. C'est que les thérapeutiques conjoncturelles européennes de juillet et américaines du début août 2011 ne s'étant pas attaquées à l'essence du mal qui ronge le corps social mondial, il fallait s'attendre à des turbulences cycliques au niveau des bourses mondiales, comme cela est le cas en ce mois d'août 2011 avec des tensions plus fortes pour les années à venir. 1- Dans ce cadre, je viens d'avoir une conversation intéressante avec un ami, un important trader localisé aux USA, conseiller de plusieurs institutions internationales et qui a requis l'anonymat, qui a investi également dans des bons du Trésor américain. Il est, certes, inquiet de la dégradation de la note américaine mais n'a pas une vue de sinistrose car si la Standard & Poor's a dégradé la note américaine, après l'agence chinoise, elle n'a pas pour l'instant été suivie par des agences aussi importantes comme Fitch Rating et Moodys. Pour ce spécialiste financier, une perspective historique sur les défauts de paiement et le “debt ceiling” nous renvoie à l'histoire financière, ayant été augmenté 10 fois dans les dernières années sans avoir créé cette folie sur les marchés que l'on observe en ce mois d'août 2011. Si on compare le Portugal et les USA, les indicateurs sont comparables. Pour le Portugal, le total debt est de 87% of GDP, les USA sont à 99% of GDP. Le déficit public portugais est 8,6% of GDP et celui US est 8,9% of GDP. Alors la question qui se pose : où se trouve la vraie bombe financière ? Si on regarde l'histoire des défauts des dettes souveraines, la Grande-Bretagne a survécu aux deux guerres mondiales avec une dette de 240% of GDP et il n'y a pas eu de défaut. La Russie a fait défaut en 1998 avec seulement 12,5% debt to GDP ratio. Le Japon a le taux le plus élevé dans le monde occidental avec 200% debt to GDP ratio, et malgré cela, il continue à emprunter sur les marchés avec des taux d'intérêt presque nuls. Dans le bond market, il y a une règle qui dit que ce n'est pas le montant de la dette qui est important mais le “carrying cost” ou le coût ou le taux d'intérêt sur la dette qui est crucial. Pour cet expert, les placements de l'Algérie en bons de Trésor américain font suite à la logique mondiale et il est souhaitable qu'elle ne liquide pas sa position à court terme, une des causes étant principalement la dynamique de politique interne américaine à la veille des élections. Face à cette réflexion intéressante, je voudrais mettre en relief les aspects suivants. 2- L'envolée de la dette publique occidentale explique les tensions budgétaires actuelles depuis fin 2010 tant aux USA, en Europe qu'en Chine, c'est-à-dire au niveau des trois espaces économiques les plus puissants du monde. En effet, le PIB mondial est évalué, selon les statistiques du FMI en 2010, à 61 963 milliards de dollars US et, selon la FED américaine, la dette publique US dépasse les 14 294 milliards de dollars, soit 97% du PIB pour une population estimée à 310 millions. Pour l'ensemble de la communauté économique européenne des 27, selon Eurostat, la dette publique représente 80%, du PIB, soit 12 885 milliards de dollars pour une population d'environ 500 millions. USA et Europe, avec 12% de la population mondiale, concentrent 27 136 milliards de dollars de dettes publiques, soit 45% du PIB mondial. Cela démontre une concentration excessive du PIB, près de 50%, pour une population ne dépassant pas 900 millions d'habitants, alors que la planète approche les 7 milliards d'habitants. Car pour la Chine, pourtant deuxième puissance économique mondiale depuis 2010, pour une population de 1,33 milliard d'habitants, le PIB totalise seulement 5 745 milliards de dollars, soit 9,5% du PIB mondial, qui a placé une grande partie de ses réserves de changes, environ 30% sur plus de 3 400 milliards de dollars de réserves de changes, connaît une explosion de sa dette publique et un retour à l'inflation 5,4% au 1er semestre 2011, selon les statistiques officielles chinoises. Selon les statistiques récentes de la Banque mondiale, les dettes contractées par les provinces, les municipalités et les districts ont atteint l'an dernier 27% du produit intérieur brut, soit 1 160 milliards d'euros, résultat des mesures des effets de la crise mondiale d'octobre 2008, où en 2009 et 2010 ont fait grimper le total de la dette chinoise à plus de 80% de son PIB. Pour le cas de l'Europe, pour la première fois, le 7 août 2011, en attendant l'opérationnalité du fonds de stabilisation, la BCE vient de décider de racheter les obligations de la dette italienne et espagnole après avoir avalisé celles de la dette grecque démontant leurs dégradations réelles. 3- L'économie, comme nous l'ont enseigné les classiques, étant politique, dans toute analyse dynamique il y a lieu de prendre en compte le temps, comme l'a montré le grand économiste polonais Kalecki et de raisonner en termes de flux. Il y a risque de dépréciation de leurs valeurs en cas de non-résolution structurelle de l'endettement des Etats, selon plusieurs spécialistes et traders que j'ai consultés. Les Chinois parlent officiellement après la dégradation de la note américaine, et ce, pour le court terme, le montant, selon eux, devant être plus important à moyen terme, le 6 août 2011, d'une dépréciation de 15 milliards de dollars pour des placements de 1 150 milliards de dollars en bons de trésor américains (30% de leurs réserves de change) et les Japonais de 10 milliards de dollars US pour un total de placement de 1 000 milliards de dollars. Soit, à court terme, 10%, ce qui donnerait pour l'Algérie une perte de 1,6 milliard de dollars uniquement pour les placements aux USA, d'où la non-précipitation car les cours pourraient remonter. Par ailleurs, 75 milliards de dollars (80% des réserves, selon les déclarations officielles, étant placées à l'étranger) sont placés dans d'autres espaces économiques et géographiques entre les banques centrales et des banques internationales dites AAA mais dont certaines ont été déclassées depuis la crise d'octobre 2008 dont la contagion tant américaine qu'européenne ferait perdre également leur valeur. La hausse prévisible des taux d'intérêt, avec le risque d'un ralentissement des investissements porteurs à maturation lente, combinée avec la dépréciation du dollar, 98% des exportations algériennes en dollars et 60% des importations en euros, ( d'où, selon mes informations, 45% en dollars et 45% en euros) permettra-t- elle de contrebalancer cette baisse ? Cette hausse des taux d'intérêt entraînera une poussée inflationniste. Pour l'Algérie qui importe 75% de ses besoins, cela signifie également hausse de la facture des importations. Il faudrait dresser donc une balance devises à partir de différents scénarios et entamer un débat serein sur les options d'utilisation des réserves de change pour éviter des rumeurs dévastatrices nuisibles à l'Algérie car la monnaie est avant tout un rapport social, un rapport de confiance entre l'Etat et les citoyens. 4- Mais, selon moi, le vrai débat est ailleurs, tant au niveau international que local. D'abord repenser le fonctionnement du système économique mondial. L'émergence d'une économie et d'une société mondialisées et la fin de la guerre froide depuis la désintégration de l'empire soviétique remettent en cause la capacité des Etats-nations à faire face à ces bouleversements. Les gouvernements, à travers les Etats-nations, et la crise actuelle en est la démonstration, sont désormais dans l'impossibilité de remplir leurs missions du fait de la complexification des sociétés modernes, de l'apparition de sous-systèmes fragmentés, de l'incertitude liée à l'avenir et de la crise de la représentation politique, d'où l'exigence de s'intégrer davantage dans un ensemble plus vaste pour pouvoir répondre aux nouvelles préoccupations planétaires. En l'absence d'institutions internationales réformées tenant compte des nouvelles mutations mondiales, et notamment des pays émergents, capables de prendre le relais de la souveraineté étatique défaillante, le risque est que le seul régulateur social demeure les forces du marché à l'origine, d'ailleurs, de la crise mondiale actuelle. Aussi s'agit-il de prendre au sérieux ces turbulences en prenant des décisions d'ordre structurelle au risque d'un krach mondial pire que celui de 1929. Faute d'une remise en ordre énergique des finances publiques, notamment aux USA et en Europe, il y a fort risque d'aggravation de l'économie mondiale. Pour le cas Algérie, le vrai débat doit porter sur celui d'une transition d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, dans le cadre des valeurs internationales renvoyant à l'approfondissement de la réforme globale. L'Algérie, assistant en spectatrice passive à une scène qui l'intéresse à plus d'un titre, certains responsables tétanisés, il s'agit de dépasser l'entropie actuelle caractérisée, une bonne gouvernance mitigée, le manque de cohérence et de visibilité dans la politique socioéconomique, le gouvernement misant uniquement sur des dépenses monétaires sans analyse des impacts grâce à la rente des hydrocarbures pour calmer le front social. L'Algérie ne saurait être isolée des mutations mondiales. Aussi, sans vision stratégique, comme c'est le cas actuellement, les replâtrages préparent une très grave déflagration sociale à moyen terme. Le plus grand ignorant étant celui qui prétend tout savoir, un large débat national sur les questions stratégiques qui engagent l'avenir de l'Algérie s'impose. A. M. (*) Expert international en management stratégique