Attrapez-le ! Ne le laissez pas filer, on le tient…!». Connue de tous, la formule ne sort pas, cette fois, de la bouche d'un gamin innocent qui s'amuse à jouer aux gendarmes et aux voleurs avec ses petits copains. Djerba (Tunisie). De notre envoyé spécial
La scène est infiniment plus réaliste et met en jeu des ennemis réels prêts à en découdre pour de vrai. Le cri qui vient de retentir dans la nuit chaude et paisible de Djerba, en plein milieu d'un boulevard huppé de la zone touristique de l'île, est en fait une consigne ferme donnée par un pro-rebelle libyen à ses compagnons pour capturer un partisan d'El Gueddafi surpris en train de flâner tranquillement, un cornet de glace à la main. Capturé et sur le point même d'être lynché, devant les yeux ébahis de touristes occidentaux, l'infortuné «gueddafiste» ne devra son salut et, surtout, la vie sauve qu'à des badauds soucieux de la bonne image de Djerba. «Qu'est-ce qui vous arrive ? C'est quoi ça, attrapez-le !? Vous êtes devenus fous ou quoi ? Nous sommes avec vous mais nous ne voulons pas de ça ici. Vous avez compris ?» peste bruyamment le gérant d'un café très fréquenté contre le groupe de partisans des rebelles qui arboraient fièrement des tee-shirts et des casquettes aux couleurs du nouveau drapeau libyen. Ces jeunes venaient de sortir dans les rues animées de Djerba fêter la prise de Tripoli par les insurgés. Et visiblement, ils avaient à cœur de ne laisser aucune trace des éléments des «kataïb» (les brigades d'El Gueddafi, ndlr), y compris à l'étranger. Djerba en écho à Tripoli Pour le moins surréalistes mais néanmoins prévisibles, des scènes analogues se sont multipliées ces derniers temps, notamment au fur et à mesure que l'étau avait commencé à se resserrer autour de Tripoli. Mais la chasse contre les pro-Gueddafi a été véritablement décrétée ouverte, il y a deux jours, lorsqu'il était clairement apparu que la chute de Tripoli était inéluctable. Terre d'asile autant pour les pros que pour les anti-Gueddafi depuis le début de la guerre, en février dernier, Djerba est devenue, au fil du temps, un lieu de prédilection pour des explications musclées entre «frères ennemis». Selon des sources locales crédibles, ils seraient près de 120 000 Libyens à vivre à Djerba ou dans les villes avoisinantes. 120 000 personnes que le colonel et sa famille auront réussi, tout au long de ces six derniers mois, à monter les uns contre les autres. «Cela fait 7 ans depuis que je viens passer mes vacances ici. J'ai même fini par acheter une maison tant l'endroit me plait. Mais là, je commence vraiment à m'inquiéter. J'ai l'impression que quelque chose à changé… je ne me sens plus vraiment en sécurité», confie, à voix basse, une Française d'une cinquantaine d'années, attablée avec ses deux filles à la terrasse du café non loin duquel venait d'avoir lieu l'incident. Sachant leur tête «mises à prix», les partisans du désormais ancien régime d'El Gueddafi essayent de passer incognito et se cloîtrent dans des hôtels de luxe (ou dans des maisons de maître) en attendant, espèrent-ils, que les choses se tassent. Bref, ils rasent les mûrs. Les Libyens pourront-ils vraiment les oublier ? «Oublier ? Jamais ! L'heure est arrivée pour eux de rendre des comptes. Nous les poursuivrons même jusqu'en enfer. Je vous l'assure, ils finiront bien par payer pour le crime», fulmine Amina, une Libyenne qui a été contrainte de fuir Misrata, sa ville natale. Une ville que les troupes loyalistes ont transformée en cendres et en ruines après plusieurs mois d'intenses bombardements. «Le temps où ils venaient claquer leur argent de manière ostentatoire et tenter de recruter à coups de milliers de dollars de futurs mercenaires est bel et bien révolu», ajoute-t-elle, concentrée sur les images diffusées par la chaîne satellitaire Al Jazeera montrant la progression des «thouar» (les révolutionnaires, ndlr) dans les différents quartiers de Tripoli. «Amina dit vrai ! Lorsqu'ils avaient encore le vent en poupe, les hommes d'El Gueddafi ont tenté à un moment d'enrôler dans leur armée des gens d'ici. Je t'assure ! Ils venaient avec des sacs pleins de billets. Rien que pour leur consommation d'alcool, il leur arrivait de dépenser 2000 euros en un week-end. Mais personne n'a marché dans la combine. J'en parle parce qu'ils me l'ont proposé à moi aussi», jure Mourad, un jeune réceptionniste employé dans une grande chaîne hôtelière. Pas de doute, les partisans d'El Gueddafi n'auront à l'avenir aucun répit à Djerba, une ville qui, pourtant, a tout pour rendre heureux un étranger. Enfin, pour peu que celui-ci ait suffisamment de l'argent car la vie y est chère comparativement au reste des villes tunisiennes. La chasse aux gueddafistes Les insurgés se sont, en tout cas, engagés à aller sur leurs traces… «Zenga» «zenga». La preuve : l'ex-numéro 2 libyen, Abdesalam Jalloud, qui a séjourné samedi, pendant quelques heures, à Djerba, après sa fuite en catastrophe de Tripoli, l'a lui aussi échappé belle. Sans la protection de l'armée tunisienne, l'hôtel dans lequel il était descendu, avant de prendre l'avion pour l'Italie, allait être pris d'assaut par les insurgés, et lui, il aurait été sans aucun doute passé à tabac. Y'a pas à dire : dans cette ville et ainsi que dans toutes les villes tunisiennes, le rapport de force est largement en faveur des «thouar». Et leur force vient en partie du soutient actif des Tunisiens qui considèrent, avec orgueil, le succès de la «révolution des jeunes» Libyens comme le leur. Hier, c'est d'ailleurs ensemble que Tunisiens et Libyens (reconnaissants) ont une nouvelle fois fêté à travers les artères de Djerba l'avènement de la nouvelle Libye.