La désormais baptisée « guerre du gaz », qui oppose la Fédération russe à son voisin ukrainien, inquiète sérieusement les responsables italiens, qui craignent des perturbations du marché du gaz, que pourrait provoquer un acheminement irrégulier du méthane russe vers la péninsule. Irrités par la superbe de Vladimir Poutine qui, fort d'une Russie premier producteur mondial de gaz, fait désormais la pluie et le beau temps dans la région, les Italiens, qui se chauffent à 100% au gaz, ne comptent pas attendre le déluge pour se prémunir. Et même si Rome ne sera jamais aux abois comme Kiev, privé du gaz russe, les responsables de l'Eni savent que sur les 62,10 milliards de mètres cubes importés annuellement, les deux tiers sont fournis par la Russie (33%) et l'Algérie (30%). L'Italie est, en effet, le quatrième importateur mondial d'énergie gazière après le Japon, l'Allemagne et les USA. Ayant banni les centrales nucléaires du temps du socialiste Bettino Craxi, alors chef du gouvernement, l'Italie consomme d'énormes quantités de gaz pour faire tourner son industrie, pour les besoins en chauffage et pour la production de l'électricité dont 60% sont obtenus grâce au gaz. Très sollicité par les journalistes depuis le début du cafouillage entre Moscou et Kiev suite à la décision du Kremlin de fermer ses robinets de gaz au voisin ukrainien, qui refuse de le payer plus cher, Paolo Scaroni, administrateur délégué de l'Eni, ne cache plus ses cartes. « Puisque l'Italie va au gaz, il faut que Gazprom et Sonatrach soient tenus dans un rapport de parité que seule une société comme l'Eni peut réaliser », a expliqué le dirigeant de l'Eni à un quotidien italien. Ajoutant : « A cause des règles de l'antitrust, ce n'est pas nous qui allons bénéficier de ce choix. On fera intervenir d'autres sociétés que nous mettrons en compétition à partir des deux, voire trois prochains mois. Celle qui aura prouvé, par sa capacité de transport du gaz, être la meilleure pourra aller chez Gazprom et Sonatrach pour négocier et obtenir le gaz. » En 2005, l'Algérie a fourni 23,60 milliards de mètres cubes de gaz à l'Italie, alors que la Russie lui en a vendu 21 milliards. Par ailleurs, M. Scaroni a rendu publique la volonté du groupe Eni d'anticiper l'augmentation du flux de méthane dans les structures de transport de 6 milliards de mètres cubes. Trois pour le gazoduc algérien, Transmed, et autant pour celui russe, Tag. C'est-à-dire non plus à partir de 2012, comme initialement concordé entre Sonatrach et l'Eni, mais dès 2009, voire 2008. Mais la préoccupation italienne semble fondée, puisque la Russie a réduit, lundi, de 24% le volume de gaz livré à l'Italie (soit 6% de l'importation de cette dernière) par son gazoduc Tag, long 1018 km et qui achemine le gaz russe de la Slovaquie vers à l'Italie. Hier encore, environ 18% de l'importation n'a pas été livrée à l'Italie. Les responsables de l'Eni ont tenu, cependant, à rassurer les consommateurs, en affirmant que les réserves en gaz s'élevaient à 6 milliards de mètres cubes. Le choix de l'Italie de faire de la Russie son fournisseur favori, commence à lui peser, semble-t-il. Premier producteur mondial de gaz, suivi par l'Iran, le Qatar, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Nigeria, les Usa et ensuite l'Algérie, en huitième position, la Russie n'a pas fini de faire trembler ses clients.Ceux qui veillent sur l'importation de gaz, en Italie, pourraient revoir l'échiquier des quotes-parts, arrêtées pour l'an 2010 (36% de la Russie, 30% de l'Algérie, 11% de la Libye et le reste de l'Europe). Et alors que la France, liée à l'Iran en matière d'importation de gaz, commence à louvoyer du côté du Qatar, l'Italie regarde plutôt tout près, de l'autre côté de la Méditerranée, vers l'Algérie. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, peut-être que la crise russo-ukrainienne fera, paradoxalement, accélérer la réalisation du projet du deuxième gazoduc sous-marin Galsi, qui devra relier l'Algérie à l'Italie, via la Sardaigne.