On pensait que la messe était dite sur El Gueddafi et que l'image de l'homme, la mine maussade et les poignets menottés par les rebelles, allait crever les écrans des télés du monde en boucle. Et bien ce n'est finalement pas pour demain. La faute à un Conseil national de transition qui a fait preuve d'un grand amateurisme en annonçant la capture de Seïf El Islam El Gueddafi avant même de confirmer la (bonne) nouvelle en se basant sur une mystérieuse source qui ne lui a fourni aucune image. Le CNT se rend compte qu'il présente des failles inquiétantes dans son dispositif de renseignement et une faillite dans la gestion psychologique de la guerre. Du coup, l'euphorie de la libération a connu un coup d'arrêt et le moral des troupes en a pris un sérieux coup. Le clan El Gueddafi si rompu à la propagande et à la manipulation des foules a évidemment exploité à fond ce lamentable raté du CNT. Seïf El Islam a redoublé d'arrogance devant les caméras des télévisions qu'il a invitées à couvrir sa prestation théâtrale. Mais dans cette affaire, les deux camps ont perdu, même si les Gueddafi tentent de rassurer qu'ils contrôlent encore Tripoli. La vérité est en revanche plus délicate. Il pèse sur la Libye une réelle crainte de basculer dans le chaos. Les rebelles qui n'ont pas apprécié l'image de Seïf El Islam paradant arrogamment à Tripoli, ont à cœur de laver l'affront. Et c'est la mission qu'ils se sont assignée hier en faisant irruption dans la maison même d'El Gueddafi. En face, le régime et ses troupes loyales ne se laisseront pas faire évidemment. Certaines sources évoquent même le probable recours aux bombardements avec des tanks. Ce qui rend l'équation libyenne encore bien difficile à résoudre, tant l'engrenage de la violence paraît presque inévitable. A moins d'un coup de main décisif de l'OTAN, les rebelles ne semblent pas suffisamment bien armés pour mettre hors d'état de nuire le «guide» et sa famille. Hier, la ville de Tripoli a été transformée en champ de guerre. Conflagration sécuritaire Des dizaines de morts et de blessés parmi les rebelles jonchaient la chaussée devant Bab Al Azizya. Signe que les échanges avec les troupes d'El Gueddafi furent très violents. La bataille de Tripoli a été engagée effectivement, puisque les rebelles se sont introduits dans l'infranchissable Bab Al Azizya. Hier, ce ne furent pas des images «traficotées». On a vu en live des milliers de soldats rebelles mener l'assaut sur ce complexe ultra surveillé où travaille et réside le «guide». Mais dans l'anarchie des images de soldats courant dans tous les sens, et des colonnes de fumée noire montant vers le ciel, sur fond d'un décor insurrectionnel, on a bien du mal à imaginer une stabilisation rapide de la Libye. Même après la chute du dictateur. Ce pays en guerre, où les armes circulent sans aucun contrôle, risque de provoquer une «conflagration sécuritaire dans toute la région», analyse le professeur Mhand Berkouk. Un aussi grand pays aux frontières poreuses, qui plus est, est instable, constituerait un terrain opérationnel pour les groupes armés et autres narcotrafiquants. La poursuite des bombardements de l'OTAN pourrait également mettre à genoux l'infrastructure, voire toute l'économie libyenne avec tout ce que cela suppose comme prise en otage d'un pays par les grandes puissances qui se feront grassement payées une fois leurs bombardements terminés. La Libye est donc face aux incertitudes. Les images de rebelles sillonnant avec leurs véhicules militaires de long en large Bab Al Azizya, sur fond de rafales ininterrompues, font craindre le pire. Et c'est peut-être ce que recherchait Mouammar El Gueddafi, pour qui, la Libye ne serait rien du tout sans lui. Une mégalomanie qui fait, hélas, des ravages. A Dieu ne plaise.