En vidant le projet de loi relatif à la prévention et à la lutte contre la corruption, soumis au vote à l'APN mardi 3 janvier 2006, les députés ont agi soit par ignorance, soit par calcul politique. Explorons les deux hypothèses. Par ignorance, d'abord. Les députés du FLN, parti majoritaire à l'assemblée, du MSP et du PT ont peut-être cru déceler « un traquenard » dans le texte soumis par le gouvernement concernant la déclaration de patrimoine. Les députés se sont vus « touchés » par une loi que l'Algérie a été presque obligée d'élaborer pour respecter ses engagements internationaux liés à la Convention des Nations unies contre la corruption, entrée en vigueur en décembre 2005. Ils ont décidé de supprimer l'article 7 de cette loi qui stipule que « sans préjudice des peines prévues par la présente loi, l'absence de déclaration de patrimoine dans les délais prescrits entraîne la révocation des fonctions ou la déchéance de mandat électoral ». Cette disposition concerne tous les élus, à commencer par le chef de l'Etat. L'article 4 de cette loi est maintenu. Il porte sur l'obligation de déclaration de patrimoine pour tous les agents publics. Maintenu également l'article 71 qui consacre l'abrogation de l'ordonnance 97-04 relative à la déclaration de patrimoine. C'est simple : les députés ont abrogé toutes les dispositions pénales relatives à l'absence de déclaration de patrimoine. Cette déclaration devient presque facultative puisqu'il n'existe aucun risque à encourir. Les députés ont-ils réellement lu le texte sur la lutte contre la corruption dans son intégralité ? Se sont-ils rendu compte de l'image exécrable qu'ils renvoient d'eux-mêmes ? Les parlementaires de la chambre basse donnent l'impression de vouloir se défendre comme s'ils avaient quelque chose à se reprocher, car quel est le fondement des craintes exprimées dans les coulisses de l'APN ? Là on arrive à la deuxième hypothèse. Celle du calcul politique. Le FLN - ce n'est pas une vue de l'esprit - entend mener la vie difficile au RND, le parti du chef du gouvernement. Depuis des semaines, par petites phrases, les deux partis recourent à des tirs dans les pattes, même si les apparences sont sauvées. Selon Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN et représentant personnel du président de la République, il n'aspire pas à diriger le gouvernement. Le comportement des militants du FLN, dont les députés, semble plaider pour le contraire. Le FLN, qui domine les assemblées locales, garde un regard vigilant sur les prochaines élections législatives et locales qui doivent se tenir dans moins de deux ans. Le RND, qui nourrit fatalement les mêmes ambitions, évolue sur une trajectoire moins bruyante. Le FLN, pour le parti d'Ahmed Ouyahia, n'est pas le compagnon préféré des dîners de ville. Reste le MSP qui, de plus en plus, perd les traits de sa personnalité. Non autonome, le parti de Bouguerra Soltani marche sur les traces du FLN et parle presque le même langage et de la même gestuelle. Autant dire que le front FLN-MSP contre le RND est évident. Dans tout ce magma, il est difficile de retrouver les couleurs initiales de l'Alliance présidentielle qui devait porter et défendre le programme du chef de l'Etat et qui est composée - on commence à l'oublier - par le RND, le FLN et le MSP. Cette Alliance sert-elle encore à quelque chose ? Est-elle un simple alibi pour donner l'illusion d'un certain mouvement, alors que le pays demeure fermé à l'action politique libre ? Le petite bombe de l'APN met à nu une situation facile à déchiffrer : les membres de l'Alliance ne s'entendent presque sur rien. Les débats accessoires qui peuvent être menés, ici et là, ne vont servir qu'à gagner du temps ou, à défaut, tourner en rond. L'amusant, dans l'histoire, c'est que le MSP et le FLN veulent impressionner en donnant l'illusion de vouloir « faire » un peu d'opposition alors qu'ils siègent au gouvernement et qu'ils partagent l'ensemble des décisions. Ils partagent également l'échec et les contre-performances. A moins que toute cette théâtralité prépare des changements dans l'instable cartographie politique actuelle. Cela permettra, probablement, à rendre 2006 une année moins ennuyeuse...