L'association pour la jeunesse et la citoyenneté (AJC), qui œuvre pour la promotion des valeurs de liberté d'expression et de l'engagement citoyen, organise, à un rythme hebdomadaire, ce qu'elle appelle des «débats show», et cela au siège du Petit Lecteur à Oran. Le concept est original et joliment ficelé : sur un thème quelconque, d'actualité ou non, deux équipes de débatteurs montent sur scène, et chacune d'elles essaye, en usant de son pouvoir de persuasion et de son sens de la répartie, à convaincre l'assistance présente que l'opinion qu'elle défend est la plus juste. Et à la fin de leurs prestations respectives, le public devra élire, par voie de vote, la meilleure équipe, en l'occurrence le thème choisi vendredi dernier est celui de «la liberté d'expression absolue». L'équipe A, celle composée de Abdellah, Hayat et Mokhtar, en est pour ; et l'équipe B, qui comprend Sofiane, Hamza et Allal, est foncièrement contre. Qui des deux réussira à convaincre le public ? A noter aussi que l'affrontement entre les deux équipes a été modéré par un animateur, Fayçal Sahbi, enseignant universitaire… Le match peut alors commencer ! Pour l'équipe B qui a ouvert le bal, ce qui pose problème n'est pas la liberté d'expression, mais l'absoluité de cette liberté. Cet «absolu» renvoie, selon les débatteurs de cette équipe, automatiquement à des troubles de l'ordre social, à des dissensions, voire même à des tensions diplomatiques entre pays ou communautés. De ce fait, la liberté d'expression ne doit pas être absolue, mais doit être limitée par des barrières qui empêchent l'injure, la diffamation et la calomnie. L'équipe A voit les choses différemment. Pour ses débatteurs, les «barrières» ne servent qu'à la censure, et la censure n'est ni plus ni moins qu'une limitation arbitraire. «Toute restriction profite au pouvoir installé, et la liberté d'expression a pour but de contrer le pouvoir et ses abus.» Ajoutant une couche, ils diront : «Limiter la liberté d'expression, ou lui mettre des barrières, c'est détenir la vérité absolue ; or, personne ne détient la vérité absolue, et ce n'est qu'au travers de cette liberté d'expression sans barrière qu'on peut, à défaut de l'atteindre, au moins s'y approcher !» Dialectique L'équipe B n'en démord pas pour autant. Pour elle, ne pas mettre de limite à la liberté d'expression «est laisser libre cours aux discours intégristes, comme ceux que notre pays a connus au début des années 1990, et qui nous ont plongé dans une décennie d'horreur !». Pour cette équipe, l'absoluité de la liberté d'expression est dangereuse : elle peut plonger l'humanité dans un chaos total, comme cela fut le cas dans les années 1930 et 1940, avec les nazis, dont les propos «outranciers et orduriers» n'étaient pas régulés par des barrières morales. Aussi, pour l'équipe B, les choses en sont claires : «La liberté d'expression oui, mais la liberté d'expression absolue, non !» «Mais à ce moment-là, réplique l'équipe A, qui garantit que le bon sens sera préservé ? Si elle n'est pas absolue, quelle personne est plus à même de garantir la liberté d'expression ?» Et de conclure ensuite : «Si pour l'heure, la liberté d'expression absolue n'est qu'utopie, il faut se dire que c'est un objectif qu'il faut vouloir atteindre !» Un débat a ensuite été ouvert avec le public, après quoi, ce dernier a été appelé à élire la meilleure équipe, et cela en leur donnant des notes. Avant l'ouverture du débat, 58% du public était pour la liberté d'expression absolue et seulement 42% en étaient contre. Après la prestation des deux équipes, le public leur a attribué des notes, en donnant : 11,07 pour l'équipe A et 11,33 pour l'équipe B. C'est dire si c'était serré ! Les organisateurs nous ont assuré que les «débats show» se poursuivront à un rythme régulier, et le public, bien sûr, sera convié à venir en grand nombre