Définir la poésie, c'est déjà la limiter, lui imposer des frontières forcément réductrices et impertinentes. Décrire Benhamadouche Mohamed, plus connu sous le nom de Ben Mohamed, et Ben pour les intimes, est une tentative vouée à l'échec Et dans la culture berbère, profondément orale, ses textes sont comme des balises. Notre Big Ben national — encore un raccourci de journaliste — est très demandé après plusieurs années d'oubli. Son récital poétique mercredi dernier au palais de la culture Moufdi Zakaria, organisé par le Haut commissariat à l'amazighité, a été un événement exceptionnel pour les heureux présents. Le poète est plus connu pour son texte Avava Inouva que Tcna-m ghef Zzin-iw. Idir en a fait du premier un tube planétaire, Nouara a donné une voix au féminisme. Ben Mohamed, donc : un physique de père Noël sympathique, des yeux rieurs, un sourire permanent. La langue de Ben vient de territoires oubliés, d'une culture longtemps méprisée. Un espace-temps fantasmé. Ben, avec un vocabulaire puisé dans un passé qui ne passe pas, a su trouver une identité personnelle. Non, Ben ne chante pas pour passer le temps. Du temps, il n'en a pas d'ailleurs, la poésie est une amante prenante, possessive. Et il l'a épousée depuis si longtemps… Le nombre d'artistes qui ont chanté ses textes est impressionnant. Auteur des plus belles chansons d'Idir Idir lui doit ses plus belles chansons, sinon sa carrière. L'arrêt de leur complicité professionnelle a été un coup terrible pour la chanson kabyle. Une source s'est tarie subitement. Le dommage n'est pas que collatéral. Le poète utilise avec talent toutes les ressources de la langue et trouve sa propre musicalité. La langue berbère, longtemps réprimée, a vu son lexique s'appauvrir, ratant toutes les révolutions, industrielles et technologiques. Le poète, animateur de radio et homme de lettres, compense en adaptant les mots, en inventant pour nommer. Mes mots pour dire nos maux. Dire, un verbe-vie. Ben Mohamed, ami de Kateb Yacine, est protéiforme. On ne peut distinguer avec lui le poète artiste soucieux avant tout de beauté formelle, du poète lyrique et du poète engagé. Que la langue kabyle est belle quand sa poésie est déclamée par l'auteur. Les mots prennent vie, s'envolent, remuent et disent que la colère, l'indignation, l'amour et la révolte nous maintiennent en vie. Aujourd'hui, les mots doivent être couchés sur un lit en papier. Mots-témoins pour qu'ils ne s'envolent pas. L'urgence d'un livre.