Rendons à César ce qui appartient à César. Ce jeu de mot contenu dans le titre de cet article est une trouvaille d'un ancien « en... saignant » devenu inspecteur. Et elle date des années 1990 . C'est dire la profondeur du mal qui ronge ce corps de la Fonction publique, le plus fourni en effectif. Pas un jour ne passe sans que la presse indépendante fasse état du malaise qui frappe de plein fouet les personnels du secteur de l'éducation. A chaque rentrée scolaire, les correspondants locaux des journaux relatent le sort des vacataires ligotés depuis quatre années dans une situation kafkaïenne - pas d'intégration, pas d'argent. La veille des vacances d'hiver, l'opinion algéroise apprend qu'une enseignante d'un collège d'Alger a reçu la visite musclée des parents d'une de ses élèves. Depuis quelques jours, le suspense est entretenu autour de la montée au créneau des syndicats autonomes qui tentent d'imposer le respect de leur dignité. Un préavis de grève de leur coordination nationale annonce une perturbation pour les 15 et 16 janvier. La menace est à prendre au sérieux si l'on en croit le chiffre de 5 000 000 adhérents (tous corps confondus) alignés par ces organisations. Ce malaise sans nom déborde du système scolaire. Leurs collègues du supérieur affichent des signes de dépit face à la dégradation de leur situation sociale. A Sidi Bel Abbès, se sentant bernés par de vaines promesses de logement, des enseignants universitaires se découvrent - à leur corps défendant - des vocations de « barricadiers ». Dans un courrier des lecteurs, publié par notre confrère Le Quotidien d'Oran, une enseignante de l'université de Constantine avoue son incapacité - et celle de ses collègues - à boucler ses fins de mois. C'est une lettre qu'elle adresse à un universitaire d'origine algérienne et français depuis une dizaine d'années - il a quitté le pays natal en 1994 pour ne pas mourir... intellectuellement et professionnellement. Elle la conclut en ces termes : « Enfin, je crois qu'il faut se résoudre à la fatalité et accepter notre sort ! C'est bien fait pour nous qui sommes restés au pays (chahh). Remarque pour les enseignants encore sincères et dévoués, il reste à faire comme tout le monde : rechercher une deuxième occupation lucrative. C'est peut-être ce qu'on veut nous voir faire ! » Que dire de plus à ce plaidoyer imparable ? Nos bâtisseurs d'avenir sont désarmés : ils n'ont plus la motivation nécessaire à l'accomplissement de leur sacerdoce. Freud disait que l'enseignement fait parti des « rares métiers impossibles ». Le célèbre scientifique était loin de s'imaginer que cette impossibilité pouvait avoir pour origine la précarité sociale. A son époque, ce métier était noble et bien rémunéré comparativement à d'autres. L'instituteur de campagne - pour ne citer que lui - figurait dans le gotha mondain de la région : il était respecté et écouté. En Algérie, ce ne sont pas les considérations freudiennes qui rendent « ce métier impossible », mais le statut socioprofessionnel qui lui est octroyé par le pouvoir politique. Et cela ne date pas d'aujourd'hui. On a beau se triturer les méninges, aucune justification ne vient expliquer la descente aux enfers de la pauvreté des fonctionnaires du secteur de l'éducation nationale. Proviseur de son état, le premier responsable de l'UNPEF (syndicat autonome) a dévoilé son salaire mensuel et surtout le salaire de base d'un enseignant : 8000 DA par mois. Beaucoup moins que le Smig ! Et si le développement de la matière grise était un danger dans un pays où le marchand de cigarette à la sauvette, l'escroc en col blanc et le maffiosi en costume-cravate sont des étalons pourvoyeurs de nouvelles valeurs ? A quoi bon aller à l'école ou à l'université si c'est pour déranger cet ordre établi ? Les réponses à ces questions se lisent en filigrane dans l'écho rencontré par les appels de détresse de nos valeureux éveilleurs de conscience que sont et resteront à tout jamais nos « en... saignants ». [email protected]