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Comme une rose fanée
Blida, une ville dépouillée de ses Saints
Publié dans El Watan le 24 - 12 - 2006

Blida perd progressivement l'héritage spirituel de Sid Ahmed El Kebir en permettant cette guerre pour l'espace dans une dimension démesurée, sans règle de protection et sans respect pour la ville, sa mémoire et ses morts.A Blida, les lieux saints et les vieux cimetières deviennent des « biens vacants ».
Ils sont confisqués et profanés. Véritables lieux de mémoire de la vieille ville, ils ont de tout temps bénéficié du statut wakf ou habous qui confère, normalement, un caractère inaliénable. Mais faut-il encore que la loi soit respectée. Suprême sacrilège, même Sid Ahmed El Kebir, le saint patron de la ville n'échappe pas à la menace. Des dizaines de familles fraîchement installées occupent l'enceinte de la zaouïa et construisent sous prétexte de la « crise de logement ». Sidi Yakoub Chérif, que chante Kamel Bourdib, doit sa sauvegarde à sa position géographique centrale et surtout à la hauteur dissuasive de sa grille. Sidi Abdelkader El Djilani, makam de l'illustre mystique de Baghdad, maître à penser de l'Emir Abdelkader, n'a pas cette chance. Trop bien situé pour les promoteurs en mal d'espaces, il est réduit à quelques vieilles sépultures et une koubba. Sa façade sur le boulevard a été accaparée. Pour ce qui est des ancêtres, il faut les oublier. Sidi Hallo est l'un des plus vieux cimetières de la ville. C'est un lieu de convivialité pour les familles. On y trouve des noms célèbres : Mohamed Touri, Mahfoud Boucebci, M'hammed Yazid… Il y a aussi toute la fine fleur des jeunes de Blida tombés au champs d'honneur. Faute de protection, les sépultures sont profanées depuis des années par des visiteurs nocturnes qui n'ont aucune difficulté à violer les lieux. Aucune APC depuis 1962 n'a assumé ses responsabilités pour le respect des morts juifs, musulmans ou chrétiens.
Les trois religions logées à la même enseigne
Les trois cimetières sont côte à côte et subissent la même sauvagerie. Un peu moins pour le cimetière chrétien en raison de la vigilance des autorités diplomatiques françaises. A Sidi Hallo, les nouveaux riverains laissent librement paître leurs troupeaux de chèvres qui dévastent les plantes d'ornement. Il n'y a plus de jasmin sur les tombes. Des stèles finement ciselées en marbre blanc de style andalou sont brisées. Les familles redoutent qu'à ce rythme ces espaces disparaissent dans les prochaines années. Les destructeurs annoncent toujours l'arrivée des pelleteuses des promoteurs immobiliers. Il suffirait pourtant d'élever un peu plus la muraille qui l'entoure et de sécuriser l'entrée. « Un mur de protection serait-il trop cher pour nos morts ? » se demande Nouredine Guessaïbia, professeur d'éducation physique, scandalisé par le laxisme des autorités. Il a reconstruit trois fois la tombe profanée de sa fille décédée l'an dernier à l'âge de 22 ans.
À quel saint se vouer ?
Lanna Aïcha est une petite coupole rose sur la rive de l'Oued El Kébir. Dans leur enfance, des artistes comme Rachid Nouni, Abdelkader Guessoum et Mohamed Tobbal venaient auprès de cette sainte Lanna Aïcha pour leur inspiration. La spécialité séculaire de cette mystérieuse lanna Aïcha est de promouvoir la naissance des filles. Plusieurs fois détruite et relevée de ses ruines, elle est encastrée au milieu de constructions anarchiques. A quelques centaines de mètres, reposent Sidi El Fergani et Sid Ahmed Ben Farès. Ces deux marabouts ne doivent leur salut qu'à leur position défavorable. Ils ont su prévoir l'avenir… Sidi Moul Trik dans le quartier de Bouaïba a disparu ainsi que son cimetière. Le marbre des stèles a servi de matériau de construction : dallage du sol, éviers des cuisine, toilettes. Sidi Abed se retourne toutes les nuits dans sa tombe coulée sous une dalle de béton. Personne n'entendra ses suppliques. Sa crypte a été privatisée. Le marabout avait le tort d'occuper un espace très intéressant à l'entrée de l'avenue des Moulins. Cheikh Benaïssa, sur les hauteurs de oued Sultan, est interdit de recevoir ses traditionnels pèlerins. D'ailleurs, plus personne ne tente sa chance depuis le départ des occupants de la casemate de la Wilaya IV en mars 1962. Dans ce lieu historique, des moudjahidine blessés ou malades transitaient : Ali Laâma, Mohamed Sota, Hakim Beloui, Si Rabah, Benzina, Zoubir Bouzzou, Mohamed Boufarik et tant d'autres. Son cimetière est réduit à quelques mètres carrés. Nous avons vainement cherché la sépulture d'un jeune chahid, Kaddour, natif du quartier et mort à l'âge de 17 ans en mai1959. Plus d'une vingtaine de chouhada reposaient ici.Le marabout dont on ne connaît pas bien les origines a été délesté de sa maison. Installés au titre de l'aide humanitaire, les occupants ont pris la vieille nécropole et ne sont pas disposés à la quitter. Même sort pour Sidi M'hammed Ben Aouda. De son vivant, dit-on, les lions de l'Atlas venaient boire à sa source sous le regard médusé des visiteurs. Ce marabout avait le don de calmer les enfants difficiles, il suffisait de boire à la source du Lion. Les tombes séculaires gisent sous une brillante dalle de sol. Il n'y a plus de Sidi M'Hammed.Au bas de la rue du Bey, Sidi Abdallah est une exception. Il résiste aux assauts des commerçants qui harcèlent le gardien des lieux, le vieux Bendikhay, dont la famille originaire de Tlemcen est dépositaire de la clé depuis plus de 480 ans. Les marchands veulent acheter « la maison », mais fidèle à sa mission et respectueux de la tradition familiale, M. Bendikhay reconduit les demandeurs avec fermeté. « Ils ne se rendent même pas compte, dit-il, du sacrilège de leurs avances ». Sidi Abdallah est une toute petite chambre funéraire avec une façade qui a besoin d'être rafraîchie. Elle contient les restes d'un chérif qui serait disciple d'Ahmed El Kébir. Les femmes le vénèrent depuis des lustres. Tant de secrets messages ont été déposés dans ce lieu depuis des siècles, auprès d'un psy qui défie le temps ! Ce lieu sacré doit sa sauvegarde à la ténacité du gardien des lieux. Pour combien de temps ? Le laxisme a son prix. Quand il n'y aura plus de marabout à squatter ni de cimetières à profaner, il faut redouter une autre ruée sur d'autres espaces, puisque tout est permis ! Ce sera au tour des jardins publics, la place du 1er Novembre et son kiosque à musique, les trottoirs, les boulevards et les marges des voies ferrées qui, d'ailleurs, sont déjà occupées par des constructions illicites à l'entrée de la ville sur une longueur de plus de 500 m. La bonne nouvelle, c'est la décision du wali de prendre les choses en main. Il multiplie les inspections sur le terrain et note tous les dysfonctionnements qui tendent à démolir les charmes de la ville des Roses.


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