Les Français ont tenté de limiter la circulation d'informations relatives à la vie privée et aux ambitions politiques de Saïd Bouteflika, frère et conseiller du président de la République, selon un câble de l'ambassade américaine à Paris, classé secret, datant de décembre 2009, et rendu public, fin août 2011, par WikiLeaks. Citant Anne-Claire Legendre, qui occupe actuellement le poste de chargée de mission auprès du directeur pour les affaires européennes au ministère français des Affaires étrangères, et qui est qualifiée de «contact fiable», le câble relève que Saïd Bouteflika a commencé à avoir «un rôle de plus en plus significatif» dans la vie politique algérienne depuis qu'il a dirigé la campagne électorale de son frère lors de la présidentielle de 2009. «Il a travaillé étroitement avec les leaders du RND, avec des technocrates laïcs et des hommes d'affaires», est-il indiqué. On s'est interrogé si cette «association» allait aboutir à «quelque chose». «Mais, Saïd Bouteflika reste vraiment un homme d'ombre», est-il remarqué, soulignant que Saïd Bouteflika a fait campagne, à la faveur de celle de son frère, pour «l'aministie générale». «Une idée applaudie par les islamistes, refusée par les laïcs», est-il noté. Anne-Marie Legendre n'a pas écarté la thèse que les frères Bouteflika préparaient un soutien à la succession présidentielle parmi l'élite algérienne. Des frères qui ont «remarquablement» réussi à freiner l'accès du public à des informations sur leur vie privée et leurs actions politiques. «En plus de leur préférence forte pour le secret et la discrétion, les frères Bouteflika peuvent avoir une autre motivation pour dissimuler leurs plans de succession : un désir de construire le support parmi l'élite de l'Algérie, qui reste soupçonneuse à n'importe quelle tentative de personnaliser la Présidence», est-il noté. Il est observé que le culte de la personnalité est étranger à la tradition politique algérienne. Anne-Claire Legendre a confié que les Algériens se sentent «d'une façon ou d'une autre» supérieurs à leurs voisins nord-africains, y compris le Maroc, la Libye, la Tunisie et même l'Egypte, où les leaders étaient déterminés pour assurer la succession au pouvoir à un parent (une tradition désormais balayée par les révoltes arabes). Révision de la constitution Selon la diplomate française, la révision partielle de la Constitution en 2008, qui a supprimé la limitation des mandats présidentiels et qui a permis à Bouteflika de rester au pouvoir, a choqué les Algériens. Anne-Claire Legendre a confié n'être pas sûre de la volonté de Saïd Bouteflika de lancer un nouveau parti. «Mais, il pourrait avoir orchestré des rumeurs sur cette possibilité, une sorte de ballon-sonde pour mesurer la réaction publique. Une réaction négative forte pourrait persuader Abdelaziz Bouteflika d'abandonner l'idée», a-t-elle confié. D'après elle, le FLN et le RND ont, dès le départ, considéré «le parti» de Saïd Bouteflika comme «une menace». Les opposants à ce projet pourraient venir, selon la même responsable, des leaders des formations de Abdelaziz Belkhadem et Ahmed Ouyahia, des leaders de l'armée ou des services secrets. «Ils peuvent chercher à rendre public le parti politique possible de Saïd pour y engendrer une réaction négative», a-t-elle noté. Selon la même source, Abdelaziz Bouteflika a échoué à créer le poste de vice-président de la République. Ce poste devait être «constitutionnalisé» à travers la révision partielle de la loi fondamentale en 2008. Il est relevé que Saïd Bouteflika était candidat de «premier plan» à ce poste. Candidature qui, d'après la même source, a été rejetée par les militaires et les chefs des services secrets. Le refus est motivé par le fait que le frère du Président sera mis, de par le poste, en première ligne pour lui succéder au palais d'El Mouradia. La thèse d'une relance du projet par le chef de l'Etat n'a pas été écartée. Anne-Claire Legendre n'a pas manqué de faire une comparaison entre les deux frères Bouteflika et a observé que Saïd a évolué dans une génération différente de celle de Abdelaziz (20 ans les séparent en âge). Elle a remarqué que l'analyse de Abdelaziz Bouteflika est marquée par la période révolutionnaire, les crises régionales des années 1970 et le bouleversement social des années 1980. Ce n'est pas forcément le cas pour Saïd Bouteflika. Par ailleurs, et selon le même câble, le gouvernement français a limité l'accès aux informations sur l'état de santé de Abdelaziz Bouteflika et ses frères. Les Bouteflika se font souvent soigner, ou entretenir la forme, à Paris. Il est relevé aussi que les journalistes algériens ont adopté de l'autocensure concernant le traitement des nouvelles liées au «clan Bouteflika» (terme utilisé dans le câble).